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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

mais elle ne se préoccupe pas de savoir s’il a vécu en dehors d’elle, ni comment il a vécu. Son rôle dans la grande représentation historique est un rôle de comparse. Il entre et sort, mais ne demeure jamais longtemps en scène : c’est un personnage accessoire dont l’importance réside uniquement dans la fréquence et la durée de ses relations avec les autres personnages. Le reste du temps, on ne sait rien de lui et on n’en a cure.

Il ne faut pas chercher ailleurs que dans ces lacunes les causes de notre incapacité à bien comprendre l’Amérique, et de notre maladresse à profiter de ses expériences. De toutes les histoires que nous puissions étudier aux approches du xxe siècle, la science est pourtant la plus petite en enseignement. De deux choses l’une, en effet : ou bien la société d’outre-mer grandit en opposition avec la nôtre, ou bien elle ne fait que la précéder dans des voies qui s’ouvrent devant l’une comme devant l’autre. Si le germe qui l’a produite n’est pas exclusivement américain, c’est donc qu’il a été importé d’Europe, et que l’esprit d’autorité et de tradition a simplement entravé ici son développement, que favorise là-bas l’esprit de liberté et de nouveauté. Dans le premier cas, un conflit est inévitable pour l’avenir. Dans le second, l’Amérique est notre guide et notre modèle. La question vaut donc d’être examinée sérieusement. Mais l’histoire américaine n’a pas seulement un intérêt pratique. Elle a aussi le genre d’intérêt que nous demandons volontiers aux récits du passé. Malgré sa brièveté, elle est émouvante et philosophique. Les mystères encore inéclaircis qui pèsent sur ses commencements, la grandeur des luttes qui la traversent et l’énergie de ceux qui les soutiennent, l’importance des intérêts en jeu et des problèmes en cause, tout contribue à lui donner ces caractères. Quand on la connaîtra mieux, les historiens s’étonneront de l’avoir dédaignée si longtemps, et l’on se hâtera de lui faire une place dans les programmes d’enseignement.

Mais pour la bien connaître, il faudra se garder de confondre la partie avec le tout. La puissance des États-Unis domine de si haut celle des différentes républiques américaines, qu’elle concentre tous les regards. Cela est naturel et presque légitime. L’astre de l’Union éclipse les autres. On ne saurait oublier, toutefois, qu’il appartient à une constellation dont il n’est point séparable. Les citoyens des États-Unis, loin de renoncer à leur « mission américaine », n’ont jamais perdu l’occasion de marquer