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MESSE DE MINUIT.

sacristie, après avoir montré patte blanche à un moine soupçonneux, et on ne pénétrait là qu’en petits groupes dévisagés et triés. Mais, dans nos temps, tout se simplifie, tout se banalise ; les sanctuaires n’ont plus de défenses et s’ouvrent à tous venants.

Elle est déjà remplie, cette chapelle, et, en y entrant, c’est un effet inattendu que de s’y trouver comme dans un nuage, d’y voir à peine, dans une nuit différente de celle de la campagne, à travers une si épaisse fumée d’encens qu’il y a du vague de vision épandu sur les capucins immobiles devant l’autel, et sur les femmes, uniformément voilées de noir, immobiles dans la nef. Au murmure des litanies, qui se chantent à demi-voix dans le lointain du chœur, une impression étrangement funèbre se dégage des l’abord de cet amas de femmes, dont les têtes enveloppées de drap noir s’inclinent vers la terre. Toutes ont mis la mantille de deuil, qu’il est d’usage, en pays basque, de porter pendant les cérémonies religieuses et qui a pour but de bien marquer l’humaine fragilité.

La mort, ici tout est pour la rappeler. Et il semble qu’elle plane lourdement au-dessus de ces quelques centaines de têtes courbées. Chaque dalle de cette église est une dalle funéraire, et on a conscience que ce sol où l’on marche est plein d’ossements. De cette foule de paysans et de pauvres, où les vieillards dominent, s’exhale une odeur de cadavre que l’encens ne dissimule pas. On entend çà et là des toux creuses qu’exagère la sonorité de la voûte. Et, de fait, ce n’est que la terrifiante pensée de la mort qui, cette nuit, réunit là tous ces êtres d’un jour, pour l’effort en commun d’une prière. C’est contre la mort que sonnent toutes ces cloches d’églises, dont le bruit s’élève en ce moment de partout et remplit le silence. Et c’est contre la mort aussi qu’a été érigée cette grande Vierge blanche, seule éclairée par la flamme des cires, dans la chapelle sombre… Oh ! si souriante et si blanche, cette grande Vierge, au milieu de guirlandes de roses blanches : sorte de trompeuse vision infiniment douce, qui pose radieusement sur l’autel, parmi les nuages de l’encens.

L’encens de plus en plus s’épaissit dans la nef. Et les statues des saints se confondent avec les immobiles moines, dont les barbes, les chevelures sont archaïques autant que celles des images de bois ou de pierre.

Cependant, ces litanies murmurées si bas ne sont qu’une sorte d’incantation préliminaire, de préparation à quelque chose d’autre,