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LA NOUVELLE REVUE.

quand cela est possible, tous les ans, les mêmes choses, dans les mêmes lieux, aux mêmes dates et aux mêmes instants.

Après un quart d’heure d’une petite traversée, tranquille comme un glissement d’ombres, nous abordons au rivage espagnol, et là, reconnu par les carabiniers de veille, je puis m’acheminer librement vers la chapelle des moines par une route qui suit la berge de la rivière, à la base des montagnes.

Le clair croissant de lune décidément me quitte, me laissant à la garde des étoiles, dans une pénombre plus confuse. Le long de mon chemin passent quelques hautes maisons basques, déjetées, anciennes, encore blanches au milieu de la nuit à force de chaux sur les murs ; puis, des fantômes d’arbres, de grandes ramures effeuillées. Il y a aussi des endroits déserts et plus obscurs que des rochers surplombent. Et toutes ces choses dorment, dans une paix, dans un silence infinis.

Vingt minutes de marche, une demi-heure peut-être, en allant sans hâte dans cette nuit très recueillie, qui emprunte on ne sait quoi de particulier et d’apaisant au doux mystère de Noël.

Deux ou trois bandes de chanteurs se croisent avec moi, annoncées de loin au milieu de tant de silence ; des garçons de Fontarabie qui se promènent aux lanternes, chantant les antiques chansons où figurent les Mages de Bethléem ; ceux-ci s’accompagnant avec une guitare grêle, ceux-là avec un tambourin. Un peu gris, tous, ils me disent en passant de gais bonsoirs, et tout de suite je perds, dans le lointain le bruit de leurs voix, de leur musique sautillante et vieille.

Voici enfin les grands murs du couvent, d’un gris pâle et d’un aspect chimérique sous les étoiles de minuit ; je monte les escaliers des hauts perrons, et déjà, dans l’air si fraîchement pur du dehors, filtre jusqu’à moi une odeur d’encens.

La porte de la chapelle est ouverte, en raie de lumière jaune dans le bleuâtre nocturne, et, ce soir, paraît-il, entrera qui voudra sans contrôle aucun. Jadis pourtant, aux Noëls antérieurs, cette porte était verrouillée ; il fallait passer par la