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MESSE DE MINUIT




C’est une nuit de Noël ; mais, cette année, en ce point extrême de la France méridionale, c’est une nuit si douce qu’on dirait une nuit d’avril. Un croissant de lune, qui bientôt s’abîmera derrière la masse obscure des montagnes de l’ouest, est encore en l’air, parmi de tout petits nuages semblables à des parcelles effilées de ouate blanche.

De la rive française où j’habite, je viens d’entendre onze heures sonner là-bas au vieux clocher de Fontarabie, sur la rive espagnole. Et voici la barque que j’avais commandée pour me passer, à cette heure nocturne, de l’autre côté de la Bidassoa, qui est ici la frontière ; à la lueur de son fanal, elle arrive, en glissant, jusqu’au pied de mon jardin, établi en terrasse au-dessus de l’eau sombre.

Donc, en route pour l’Espagne.

La rivière est large, inerte et luisante sous la lune… Vraiment, cette nuit de Noël est si douce qu’on dirait une nuit d’avril…

Depuis déjà plusieurs années, j’ai traversé ces eaux la même nuit et au même moment, tantôt par des temps tièdes comme celui-ci, tantôt par des temps de gelée ou de tourmente ; des fois, seul comme ce soir, des fois, avec des amis qui sont loin ou qui ne sont plus. Et c’était toujours pour aller assister à la pareille messe de minuit, dans le même couvent de moines capucins, situé un peu solitaire au bord de cette Bidassoa, sur la route qui mène de Fontarabie à Irun… Il y a une mélancolie grave à revoir,