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Je repris :

— Et Mme de Charny ?

— Je vais t’expliquer ma situation auprès d’elle, dit-il. Ne suis-je pas venu pour cela ?

— Ta lettre était assez ambiguë pour me donner à réfléchir.

— Ah çà ! que se passe-t-il ? Tu ne peux pas la quitter, cette femme ! Pourtant tu ne l’aimes plus… et tu n’es pas à ses gages.

Je le vis pâlir. Il me prit les mains et voila de tendresse persuasive son dur regard, son impérieuse voix.

— Chère Marianne, depuis deux ans, pour les raisons que tu sais, je n’ai pu ni t’exposer ni t’expliquer ma conduite. Je te parais mauvais fils, amant perfide, etc. Ah ! ma chérie, c’est que tu es soumise à des superstitions dont je suis libéré. Avais-je demandé au père Gannerault le triste cadeau de l’existence ? Il refuse de me rendre supportable cette vie que je lui dois, et quand je fais un effort vers la route plane et facile, il me rejette dans l’ornière, absurdement. Sache, ma chère amie, que je n’ai plus le sou… depuis longtemps.

— Alors, comment vis-tu ? D’emprunts, je présume. C’est très malheureux, mais cela n’a rien à voir avec notre différend. Riche ou pauvre, un homme est inexcusable de garder avec la fiancée qu’il aime, la maîtresse qu’il n’aime plus.

— Mais, s’écria-t-il, je suis lié, lié par une dette terrible… Quand on veut congédier la maîtresse gênante, on doit, au moins, lui rendre son argent,

— Son argent !

— Eh ! pardieu, oui, son argent qui me coûte assez cher, puisque j’ai perdu et ma situation à la Conquête et la place promise par Héribert. Elle… Marie… Mme de Charny n’a pas pu se retenir de mettre une amie dans la confidence. L’amie a bavardé. Le mari qui ne veut pas divorcer, à cause du scandale et peut-être par goût de vengeance… qui sait ? a fait faire une enquête. On a trouvé que j’habitais un appartement meublé par mon amie et loué à son nom. Charny a menacé Faverot, puis Héribert, de leur faire supporter les conséquences de l’affaire, s’ils demeuraient en relations avec moi. Il est riche, puissant et sournois, M. l’ex-ambassadeur. Sais-tu qu’il a racheté subrepticement une partie des actions de la Conquête ? Comprends-tu, maintenant, pourquoi je ne puis pénétrer chez le marquis des