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AVANT L’AMOUR[1]


VI

Mme Laforest étant absente, mes parents convinrent de reculer jusqu’à son retour l’explication qui devenait nécessaire. En attendant, ils parurent tout ignorer. Je riais en pensant que la dame aux cheveux rouges, la bourgeoise galante que j’avais surprise cinq ans auparavant sur les genoux de Maxime, jouerait peut-être un rôle providentiel dans mon existence. Néanmoins, je me demandais avec angoisse si je n’avais pas eu tort de parler avant d’avoir revu Rambert.

Et voilà qu’une idée me vint, imprudente et naïve, telle qu’une âme très jeune et très loyale peut la concevoir. Pourquoi remettre au hasard l’occasion d’un entretien délicat et difficile ? N’y avait-il pas entre Rambert et moi, par le fait seul de ses aveux, un lien sacré, un engagement d’honneur ? Je pouvais lui écrire. Cette démarche, dictée par un sentiment de franchise excessive, ne devait point me compromettre à ses yeux. Les convenances me l’interdisaient… mais Rambert n’était-il pas un être exceptionnel, affranchi de ces préjugés vulgaires qui entravent et mutilent l’amour ? L’idée germa dans mon esprit ; elle crût, elle fleurit et peu de jours après le jour mémorable, seule, dans le secret de ma chambre, j’écrivis une courte lettre que je sais par cœur.

« Je vous écris, monsieur Rambert, spontanément, à l’insu de tous ceux qui m’aiment, avec une terrible frayeur de paraître ridicule et sotte. Mais vous êtes si intelligent, vous semblez si bon que vous aurez pour moi beaucoup d’indulgence. Je crois de mon devoir, à cette heure décisive pour tous deux, de vous

  1. Voir la Nouvelle Revue du 15 octobre 1896.