Page:La Nouvelle revue, nouvelle série tome 33, 1905.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LA NOUVELLE REVUE

Quand, en 1881, des discussions s’engagèrent au Parlement sur la loi de laïcité et d’obligation scolaire, les adversaires des réformes se plaçaient uniquement au point de vue philosophique et religieux[1] ; ils luttaient contre l’école laïque parce qu’elle leur paraissait devoir abolir en France l’idée de Dieu. Plus tard, on a changé de tactique, on a critiqué l’influence morale de l’école sur la nation.

On nous dit : l’alcoolisme augmente dans des proportions inquiétantes ; le mariage est désorganisé par l’adultère, le divorce et le malthusianisme, on ne songe qu’aux plaisirs et, pour gagner la considération que donne l’argent, un commerçant ne recule pas devant les pratiques susceptibles de l’enrichir vite[2]. On voit augmenter les crimes contre les personnes et les propriétés, toujours pour satisfaire le besoin de jouissance propre à notre époque. Qui niera cette immoralité ? Il semble très simple de dire qu’elle n’a qu’une cause : l’école moderne, qui laisse en dehors de son enseignement les croyances surnaturelles, et les affirmations religieuses. Ces attaques sont mêmes renforcées par ce fait que l’on constaterait une plus grande criminalité chez les enfants, et en particulier pour les délits contre les mœurs, le vagabondage, le vol, la mendicité. De 1880 à 1892, le nombre des vagabonds arrêtés a presque doublé ; de même la mendicité. On nous dit aussi que de 1887 à 1900 la criminalité juvénile a sextuplé, et l’on donne des exemples vraiment terrifiants de cette précocité[3]. En somme, depuis cinquante ans, la criminalité a triplé, tandis que la population de la France a à peine augmenté[4], et l’on apporte des chiffres, des statistiques pour prouver que l’école est bien la cause du crime.

La vérité et que l’on fait dire aux statistiques ce que l’on veut. Les chiffres, dans leur brutalité, sont complaisants. De plus, pour les besoins de la cause, on comprend dans les statistiques criminelles des faits qui n’indiquent en rien un mauvais naturel une véritable immoralité. En quoi un délit de chasse ou de pêche, une contravention aux règlements de police (placage dans les marchés, marchands ambulants) sont-ils la manifestation de tendances mauvaises, antisociales ? Chercher à s’exonérer d’un impôt

  1. Voir discours de Jules Ferry.
  2. Cf. Herbert Spencer : Mœurs commerciales. Dans les Essais sur le progrès. Trad. Burdeau.
  3. Voir Actes du cinquième Congrès national du patronage des libérés, 1903.
  4. Fouillée : La France au point de vue moral, page 121.