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LA NOUVELLE REVUE

tions métaphysiques qui sembleraient devoir être exclues des préoccupations mondaines devenaient l’objet de discussions passionnées dans les romans, les pièces de théâtre, et même les conversations des désœuvrés. À la crise morale, se rattachait aussi comme conséquence la crise du droit criminel qui se traduisait par les minutieuses observations, les travaux et les nouvelles recherches des criminalistes français et italiens. Un sociologue français, G. Tarde, reconnaissait que l’on mettait en doute les anciens fondements de la pénalité ; selon lui, la cause n’en était pas uniquement dans les recherches faites sur des crânes ou des cerveaux par Lombroso et ses disciples, mais aussi dans ce fait que les principes moraux eux-mêmes étaient discutés[1].

Nous avons évoqué des faits et des souvenirs déjà anciens ; les préoccupations d’il y a vingt ans n’ont point disparu des esprits ; et, malgré les moments d’enthousiasme que notre démocratie a manifestés, malgré les fêtes auxquelles notre pays a convié le monde émerveillé de notre activité nationale, malgré les centenaires, dont la célébration est bien faite pour implanter dans la conscience populaire les grandes idées qui doivent la conduire, il est encore légitime de parler d’une crise de la morale et de la moralité. À propos des problèmes les plus vulgaires, nous essayons de justifier notre action en la ramenant à des idées, à des principes, et les faits seuls ne sauraient nous satisfaire. C’est ce principe de moralité que les intelligences cherchent à établir à travers les changements des lois et des règlements, parmi les discussions des assemblées politiques ; et, trop souvent, la lumière éclatante dont il devrait briller aux yeux de tous est obscurcie par les suggestions de l’intérêt ou les entraînements des passions.

De là, ces recommencements continuels dans l’histoire d’un pays.

De toutes façons, nous sentons aujourd’hui le besoin d’une forte assise morale. On n’a plus la foi religieuse qui était le soutien de la société d’autrefois ; ceux qui l’ont encore conservée savent qu’ils doivent la garder dans leur for intérieur, et ne pas la faire intervenir dans nos affaires temporelles. Nous ne voulons plus d’une unité sociale achetée au prix d’une obéissance passive, et de l’autorité exclusive d’une caste.

Il nous faut autre chose : voilà la cause de notre malaise. Nous vivons à une époque de transition, où le passé se désagrège, et où des temps nouveaux se préparent. Ce qui existait s’effrite et

  1. Crise de la morale et Crise du droit pénal. Revue Philosophique, octobre 1888.