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LA NOUVELLE REVUE

rentrons en nous-mêmes. Cette curiosité est la marque de notre propre grandeur.

Nous nous demandons aussi ce que nous valons. Des penseurs se livrent à cette enquête ; rassemblant observations et documents, convoquant les témoins, interprétant les faits, ils jugent de l’état moral de leurs contemporains ; et le plus souvent, le jugement devient un violent réquisitoire contre le temps où nous vivons. Les conquêtes scientifiques de notre siècle n’empêchent pas de constater une certaine dépression au point de vue moral ; on parle d’une crise terrible que nous traversons, et les écrivains impartiaux constatent un véritable malaise ; non pas uniquement en eux-mêmes, ce qui pourrait être l’indice d’un abus de l’esprit d’analyse, mais chez tous leurs contemporains, dans les divers milieux qu’ils étudient. Ce problème de la moralité ne sollicite pas uniquement les recherches des métaphysiciens ou des philosophes. Il y aurait une grave erreur à le poser de façon purement abstraite et à le renvoyer aux discussions des moralistes d’école. C’est plutôt un problème actuel, national ; dans les termes où il se présente, la solution qui lui sera donnée engagera l’avenir intellectuel et moral du pays. De quoi nous serviront, d’ailleurs, les instruments dont nous disposons, les richesses que nous fournissent la science et l’industrie, si notre vie morale s’atrophie ? À quoi bon vivre dans l’opulence, si l’on ne sait pas se servir des biens que l’on a, si même, de l’absence de direction résulte un usage plutôt pernicieux de notre liberté ?

N’est-il donc pas utile de se demander ce qu’est ce mal du siècle, cette crise morale dont on parle, quelles en sont les causes, et, s’il nous est possible d’en entrevoir les remèdes ?

En 1884, dans un retentissant article, M. Émile Beaussire constatait que la morale était en pleine crise ; la société moderne, semblable à un navire privé de boussole, devait chercher des directions dans les affirmations éternelles de la pensée. M. Émile Beaussire voyait avec regret la disparition de la foi religieuse, l’affaiblissement de l’autorité civile à laquelle on ne donne plus le respect qui lui est dû ; quel avenir était donc réservé à un état démocratique qui subissait l’opinion de tous, alors qu’il devait la faire ? La société n’est plus maintenue par une croyance commune, ni même par des préjugés communs. Le seul remède serait le