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LA CRISE MORALE

esprit les idées resteraient-elles stériles ? On sait que les grandes forces sociales sont les forces spirituelles ; et n’a-t-on pas dit aussi que la tâche de la sociologie, comme science pratique, était de diminuer l’erreur et d’augmenter la vérité dans les idées communes et universelles de la société ? Le devoir de l’éducateur ne consiste-t-il pas à créer chez les autres d’harmonieux systèmes d’idées, dont la force sera telle qu’elles se réaliseront et s’exprimeront dans une infinie diversité d’actes concrets, comme une nébuleuse se divise en une quantité de brillantes étoiles ?

Pour nous qui devons réaliser notre vie, mieux vaut savoir qu’ignorer. Une troupe en excursion gravit un sentier de montagne. Le chemin est rude ; on avance péniblement, mais on voit clairement le but qu’on veut atteindre. Il y a encore une certaine allégresse quand, à des moments d’arrêt, on s’aperçoit de la distance parcourue. D’autre fois, on va sur une route sans obstacle, et facile, mais on est perdu dans le brouillard et dans les nuages. On ne voit jamais le point vers lequel on marche ; un rideau impénétrable nous sépare de tout ce qui existe.

Celui qui possédera de fortes idées sur la conduite rencontrera des obstacles sur sa route ; mais l’effort qu’il fera sera préférable à la tranquillité de celui qui se laisse conduire par les circonstances, sans se douter du point où il doit aborder.

Jules DELVAILLE.