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LA NOUVELLE REVUE

Comment ces mœurs parlementaires n’auraient-elles pas une répercussion dans le pays ? À part l’intérêt que chacun sait avoir à tenir son député, celui-ci n’est-il pas pour beaucoup de nos contemporains une sorte de modèle, un directeur moral ; n’est-il pas l’homme le plus important de l’arrondissement, du département ? N’a-t-on pas pris l’habitude d’estimer ces situations politiques au-dessus des plus hautes fonctions sociales ? Et comment ces actes, dont un grand nombre profite, ne seraient-ils pas un exemple pour la masse ? Ce qui est permis au représentant, pourquoi ne serait-il pas permis à tous ? De là, aux injustices, la pente est glissante ; il s’ensuit une atonie morale, une corruption qui s’insinue insensiblement par degrés, et se recouvre des dehors brillants de l’autorité.

Les romanciers et les auteurs dramatiques nous ont donné des peintures sévères des hommes politiques et nous ont montré toute l’immoralité dont ils seraient les causes. Ce sont des gens d’une moralité douteuse, ceux que nous voyons s’agiter dans Les Valets, de M. G. Lecomte, dans La Proie, de M. Henry Bérenger, dans l’Engrenage, de M. Brieux. Ceux qui seraient généreux, désintéressés, honnêtes, sont les premières victimes du régime au milieu duquel ils vivent. Sans parler du Michel Teissier, de M. Ed. Rod, qui abandonne ses plans de politique rénovatrice pour l’amour d’une jeune fille, Raoul Rozel, de la Proie, ne voit-il pas ses aspirations idéalistes étouffées par les soucis d’intérêt, les convenances de groupe ; et au lieu de commander à la société, comme il le voulait, ne devient-il pas la proie de politiciens tarés qui le circonviennent ?

Enfin M. Melchior de Voguë, dans une peinture à grandes fresques, a fait le procès d’un Parlement, où il ne joua pas le rôle auquel le destinaient ses grandes qualités de penseur et d’écrivain[1].

Tel est le mal. Il n’est pas inutile de faire remarquer que les hommes d’aujourd’hui ne sont pas, seuls, coupables des fautes dont on les accuse. Les circonstances ont aussi leur grande part de responsabilité. Tout à coup, en effet, notre démocratie a dû faire appel à des hommes nouveaux, qui devaient jouer un rôle pour lequel ils n’étaient pas faits ; et il s’est produit ce qu’on pourrait appeler une sélection à rebours ; le suffrage universel, qui doit être un mécanisme propre à favoriser

  1. Voir : Les Morts qui parlent.