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LA NOUVELLE REVUE

infiltré chez tous, grands et petits, malgré l’école, laïque ou confessionnelle, et en dehors d’elle.

Nous parlions tout à l’heure de l’affaiblissement du lien familial, cause de nos maux. Les milieux populaires ne sont pas les seuls où la dislocation de la famille doit être considérée comme la source de l’immoralité. Notre bourgeoisie et ce qu’on nomme « la haute société » souffrent de cette désorganisation. Avec son talent de moraliste acerbe et d’observateur impartial de la vie contemporaine, Alexandre Dumas fils a montré, dans certains drames, ce que sont devenus ceux, tels que De Ryons, dont la famille n’a pas guidé les premiers pas, ceux aussi, dont les parents songent plus aux amusements mondains qu’à l’avenir moral de leurs fils. Ces enfants ont grandi au milieu de indifférence, en songeant que le succès et le plaisir sont les règles habituelles d’action[1]. Ces vices de la famille amènent parfois la « dégénérescence » ; et, certains observateurs en ont remarqué le symptôme alarmant chez la jeunesse d’aujourd’hui, dont ils déplorent le vain bavardage et l’inaptitude aux travaux sérieux[2].

Cet état d’esprit n’amène-t-il pas l’individu à faire bon marché des règles sociales et de la justice ? Le nombre des viveurs s’accroît tous les jours ; tout le monde a soif des plaisirs. Ne sait-on pas que l’amour du luxe, de la vie mouvementée conduit à la fatigue nerveuse, à la maladie, à la neurasthénie qu’on a eu raison d’appeler un mal social ?[3] Combien y a-t-il de dégénérés, de criminels par passion, parce qu’ils n’ont pas su se contenir, parce que le tempérament des individus est devenu très excitable, parce que la cause la plus futile pousse aux pires excès ?[4] » parce qu’on a « besoin d’autre chose », qu’on prend la réalité en dégoût, et que ce mécontentement général a, pour conséquence, la dépravation de tous les instincts ?

Ce n’est donc pas l’école qu’il est juste de charger de tous les méfaits contemporains ; bien que l’instruction mène indifféremment au bien et au mal, l’atmosphère que nous respirons renferme assez de germes de mort pour expliquer le malaise que nous constatons.

  1. Voir l’Ami des femmes. Cf. l’Affaire Clémenceau.
  2. Voir Max Nordau ; Dégénérescence, passim.
  3. Dr  Angelvin : la Neurasthénie, mal social, 1905, p. 35.
  4. Ibid, p. 89.