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LA NOUVELLE REVUE

S’il y a de nombreux crimes, ils ont pour cause plutôt l’absence d’école que l’école. Malgré nos lois, beaucoup d’enfants échappent à l’obligation scolaire, sont abandonnés à la rue et n’apprennent qu’à mendier ou vagabonder ; la paresse et l’abandon sont pour eux de puissants excitants aux délits ou aux crimes.

Nous savons aussi que, par intérêt ou par négligence, de nombreux parents gardent leurs enfants avec eux, tournent la loi à laquelle personne ne les rappelle, car les commissions scolaires fonctionnent d’une façon ridicule et n’existent guère que sur le papier. Quand on aura fait le compte des enfants qui ne sont jamais allés à l’école, il serait curieux de savoir combien d’entr’eux sont restés honnêtes, combien sont devenus criminels. Ce pourcentage serait instructif et vaudrait bien les statistiques dont on nous accable.

La cause capitale de la démoralisation juvénile doit être surtout cherchée dans ce fait que, depuis un demi-siècle, par suite de l’affluence dans les grandes villes, de l’abandon des campagnes, de la facilité des communications, du service militaire obligatoire pour tous, les liens de famille se sont singulièrement affaiblis et relâchés. La « maisonnée » d’autrefois n’a pas conservé son unité ; les membres qui la composaient se sont dispersés à tous les vents ; et les enfants, vivant loin de l’influence paternelle, n’en reçoivent plus les conseils et les directions. La vie dans les grandes villes, où l’on est inconnu, où chacun ne vit que pour soi, pousse les individus à ne plus se préoccuper de l’opinion publique qui, dans les petits centres et les campagnes, est, pour certains, le succédané de la morale. De là, cette quantité de ménages irréguliers, cette augmentation de naissances illégitimes, cet abandon absolu des enfants aux hasards de la rue, et des circonstances d’où chacun doit « se tirer d’affaire comme il peut ». Trop souvent aussi la famille elle-même est un milieu moral et social qui prédispose au crime ; les exemples que reçoivent les enfants sont les exemples du vol ou de la prostitution[1]. On a observé à Lyon 385 jeunes détenus. Sur ce nombre, 223 appartenaient à des familles cosmopolites privées du père et de la mère ; presque tous les autres avaient déserté le foyer paternel par suite de la misère ou des mauvais traitements et appartenaient à des familles de mauvaise

  1. Voir Richard, dans l’Année Sociologique. 3e Année.