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LA CRISE MORALE

c’est, à strictement parler, immoral ; puisque tous doivent concourir, pour leur quote-part, au bien-être de tous, mais il y a des méfaits qui troublent davantage l’ordre établi, des scandales financiers ou autres, mais qui, causés par les puissants, sont, par cela même, — ô ironie ! — moins remarqués et moins signalés.

D’ailleurs, certains de ces délits sont souvent le résultat d’améliorations réalisées par la vie moderne. Dans cet ordre d’idées, je pourrais citer une importante ville de province où l’on constatait naguère une diminution notable des revenus de l’octroi. Naturellement il devait se produire des fraudes, Je me permis de l’expliquer de cette façon à un conseiller municipal qui m’en parlait. Depuis quelques années, la ville dont il s’agit possède des tramways qui vont vers divers points de la banlieue. C’est pour les fraudeurs un moyen tout simple de passer des marchandises en contrebande, les employés de l’octroi se contentant de mettre la tête à la portière, n’inspectant pas le dessous des banquettes, très propres à dissimuler ce qui est passible des droits : un piéton, ou une voiture sont arrêtés, fouillés ; la fraude n’est guère possible. Voilà comment ce genre de délits s’explique par une cause particulière, locale, et en somme, par un progrès de la vie sociale.

Ces délits ne sont, en aucune façon, les résultats de l’éducation laïque ; et, quoi qu’il en soit, ils ne constituent pas une tare sociale, à l’égal d’un assassinat, d’une escroquerie, d’un adultère.

Ce n’est pas non plus depuis que la laïcité de l’école est inscrite dans nos lois qu’il y a augmentation de la criminalité ; on a constaté cet accroissement depuis 1826, époque où l’on a commencé à tenir des statistiques ; et c’est avant les temps de l’école laïque que l’on constate un accroissement dans le nombre des récidives ; ainsi en 1851, on trouve 544 individus condamnés au moins trois fois pendant la même année ; en 1880 on en trouve 2 154[1]. Pour une époque où l’on ne connaissait pas encore les écoles sans Dieu, l’augmentation est sensible[2]. Si la criminalité a augmenté avant la République et les lois scolaires, il n’est pas juste d’incriminer le régime[3] ; il faut chercher d’autres causes ; ces causes pourraient même ne pas être particulières à notre pays, puisque la criminalité s’est aussi singulièrement développée chez d’autres nations[4].

  1. Bonzon : l’École et le Crime, p. 27.
  2. Ibid., p. 28.
  3. Fouillée, op. cit., p. 158.
  4. Fouillée, op, cit., p. 159.