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Viens… Viens… Ne veux-tu pas, dans le bois frissonnant
Où se perd la chanson que murmure le vent,
Nous promener tous deux auprès de l’étang pâle
Que reflète, songeur, le triste peuplier ?…
Par cette nuit si bleue, où toute fleur exhale
Son parfum le plus doux qu’elle sait le dernier,
Ne sens-tu pas neiger, en ton cœur, des étoiles ?…
La nuit n’a pas voulu vêtir ses sombres voiles,
Elle a voulu, ce soir, se vêtir de rayons…
C’est une nuit d’amour… Partons. La lune claire
Doit rêver des baisers qu’elle a vus sur la terre,
Viens… le rossignol chante en la forêt… Partons… »

Et la lune d’argent vit derrière une branche
Un couple d’amoureux qui passait lentement,
Et, frissonnant un peu du haut du firmament,
Elle continua sa route, calme et blanche…

Le lendemain matin, lors des premiers rayons,
Les amants enlacés dormaient dans un grand rêve,
Et le soleil radieux qui, dans les ors se lève,
Vit leur enlacement et caressa leurs fronts…
....................

Ses blonds rayonnements me trouvèrent heureux…
Mais je me rappelais mon rêve de la veille,
Ce rêve tant aimé, je voulais qu’il s’éveille !…
Les rêves qu’on atteint ne sont jamais si bleus…

Lorsque l’aurore naît des ombres de la nuit
On voit trembler la douce étoile qui s’enfuit ;
Aux rayons du soleil son éclat est plus pâle,
Elle s’efface et meurt comme un parfum s’exhale.

Mon rêve avait été comme l’étoile aux cieux,
J’avais cru qu’il serait au soleil plus radieux,
Mais il avait besoin, pour être, de ses voiles…
Les rayons du soleil font mourir les étoiles…


Jules-L. SUPERVIELLE.