Page:La Nouvelle Revue - 1899 - tome 117.djvu/680

Cette page a été validée par deux contributeurs.
683
LE ROMAN D’UN RALLIÉ

l’énorme déploiement d’armes et d’uniformes et derrière le char funèbre, tout seul, bien en vue, s’exposant avec une crânerie superbe aux coups des assassins dont l’attentat de Lyon a révélé les dessins sanguinaires, le cinquième Président de la République Française élu de la veille et grandi déjà par le péril présent et par les contacts de l’histoire. Puis Notre-Dame : la vieille basilique assombrie, les trophées tricolores tranchant sur les draperies noires et les hymnes liturgiques roulant autour du catafalque élevé à la place où Napoléon ier se fit sacrer, où Louis xviii entendit le Te Deum de la Restauration, où Napoléon iii crut fonder sa dynastie… Dans le silence solennel des voûtes monte la prière pour l’éternel repos et les portes lourdes crient sur leurs gonds livrant au soleil qui resplendit sur le parvis l’entrée de la nef obscure, De nouveau le cortège se déroule vers le Panthéon où la Patrie à son tour, promet l’immortalité. Là, en haut des marches, sous le péristyle énorme, la dépouille du grand mort est déposée : son successeur est debout à sa droite et les troupes défilent, les épées saluent, les étendards s’inclinent devant le symbole de la vitalité nationale : les Français meurent, la France ne meurt point ! Ce soir là, Paris ému s’est recueilli avant de reprendre son labeur interrompu ; la nuit qui tombe sur le temple enveloppe le tombeau où Carnot est étendu et contre lequel s’appuie l’hommage fleuri des souverains et des peuples.

Un tombeau ! Étienne revoit ceux près desquels il a songé. C’est là-bas au bord du Potomac, celui de Georges Washington, et c’est plus près sur le rivage de la mer bretonne, celui du pauvre abbé de Lesneven : l’un illustre à jamais, l’autre oublié pour toujours ; l’un célébré par l’univers, l’autre maudit par ses pairs et qui sait ?… égaux peut être devant Dieu par la pureté de leurs intentions et le mérite de leurs actes. Étienne se rend compte de ce qu’il a reçu là d’augustes leçons. Est-ce parce que les Celtes aiment la mort qu’ils la poétisent, ou bien seulement parce que leurs ancêtres furent maltraités par la vie ? En tout cas celui-ci, leur descendant, a tendu l’oreille aux voix qui sortent des sépulcres et les morts lui ont fait connaître le sens de la vie.

La vie est simple, parce que la lutte est simple. Le bon lutteur recule, il ne s’abandonne point : il cède, il ne renonce jamais. Si l’impossible se lève devant lui, il se détourne et va plus loin. Si le souffle lui manque, il se repose et il attend. S’il est mis hors de