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LA NOUVELLE REVUE

mais qui est surtout un don de nature impliquant une source de vie riche et forte.

Les deux fenêtres du salon ouvrent contre un des angles rentrants du Palais, sous une vérandah qui court tout du long de la façade, abritant un large trottoir de ciment. Un magnifique paon est là qui se promène avec une gravité comique et de temps en temps s’arrête pour faire la roue. L’architecte radical, sorti de son fauteuil, le regarde, le nez contre la vitre, puis se retournant dit assez haut pour être entendu de tous : « Je parie que c’est l’État qui paie l’entretien de cet oiseau de luxe ! » et il va se rasseoir en ajoutant d’un air accablé : « Que d’abus ! » L’ecclésiastique n’a pas bronché, Étienne et Vilaret n’ont pas même levé les yeux, le général et les trois officiers en retraite ainsi que le journaliste sont demeurés impassibles. L’effet est manqué. L’architecte étend les jambes, en répétant encore une fois : « Que d’abus ! » Ses collègues bourguignons l’entraînent pour le faire taire. Sur le canapé les deux Bretons ont repris leur conversation : « C’est pour couper les câbles derrière vous, interroge Vilaret, que vous m’avez prié de vous présenter au Président ? » — « Non, répond Étienne. En quoi le fait d’être reçu en audience à l’Élysée me lierait-il à la République ? Il y a, grâce à Dieu, assez de détente dans le pays aujourd’hui pour que le chef de l’État puisse être visité même par des monarchistes. Non. J’ai simplement désiré le voir parce que son septennat va finir et que j’ai la certitude qu’il ne se représentera pas ». — « Vous êtes plus avancé que nous, dit le député. Nous n’arrivons pas à connaître ses intentions ; je croirais plutôt qu’il veut rester ; en tous cas le secret est jalousement gardé et lui-même semble prendre à tâche d’égarer l’opinion par ses paroles et ses actes ». — « Il fait cela par patriotisme, j’en suis sûr ; il veut éviter une agitation stérile et des discussions qui porteraient atteinte au prestige de sa charge ; mais je parierais volontiers que son parti est pris irrévocablement et depuis longtemps ». — « D’où vous vient cette conviction ? » — « Je ne sais pas ; j’accorde que jusqu’à présent sa présidence n’a pas eu une allure grandiose ; il n’a rien fait qui révélât en lui un génie supérieur, ni un tempérament héroïque, mais il a fait quelque chose de plus rare et peut-être de plus difficile que d’accomplir des actions glorieuses. Il s’est tellement bien identifié avec ses fonctions que ses successeurs seront forcés de le prendre pour modèle ; il restera le président-type ». — « Je ne savais pas, dit Vilaret un peu surpris, que vous