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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

ordre. La marquise de Crussène, en quelques mots précis, de son air imposant de grande dame, lui indiqua l’objet de la conversation qu’elle voulait avoir avec lui et tout de suite il sut ce qu’elle lui cachait. Sa puissance de pénétration se doublait d’ailleurs d’une mémoire prodigieuse. Toutes les généalogies du faubourg Saint-Germain lui étaient familières. Il calcula l’âge approximatif d’Étienne et se rappela les études faites à Stanislas, comme externe, avec un précepteur, homme distingué, correct et froid, devenu depuis professeur à l’Institut catholique. Le Père Lanjeais ne paraissait jamais réfléchir ; le travail incessant de son cerveau ne se reflétait pas sur son visage ; ses pensées avaient toujours l’air toutes prêtes. Sans une seconde d’hésitation, il pria la marquise de vouloir bien revenir le trouver la semaine suivante, s’excusant qu’une obligation impérieuse l’empêchât de la satisfaire sur l’heure et que ses nombreuses occupations ne lui permissent pas de lui offrir un rendez-vous plus prochain. Elle accepta et se retira, reconduite par le prêtre jusqu’à la porte du parloir.

Le mercredi d’après, Madame de Crussène, un peu avant l’heure fixée, franchit de nouveau le seuil du couvent. On l’introduisit cette fois dans une petite pièce nue et froide ; une statue du Sacré-Cœur et une image de Notre-Dame de Lourdes en étaient les seuls ornements ; une table avec un écritoire et trois chaises de paille, le seul mobilier. Le Père Lanjeais ne tarda pas à paraître, salua, s’assit et attendit, tenant sa barrette sur ses genoux entre ses mains croisées. « Mon Père, dit la marquise, je vous ai déjà exposé l’autre jour l’objet de ma visite. Votre grande expérience de la jeunesse me rendra vos conseils extrêmement précieux, si vous voulez bien m’en donner, et j’ai pensé que vous y consentiriez sans que j’aie à faire appel à l’intermédiaire de mon cousin d’Alluin. » Elle hésita une seconde ; le prêtre l’interrompit ; « Madame la marquise, demanda-t-il, est-ce une crise religieuse ou une crise de conduite que traverse votre fils ? Est-ce la perte de sa foi ou le dérèglement de ses mœurs qui vous inquiète ? » L’attaque était directe et l’entretien transporté d’emblée hors des limites dans lesquelles elle comptait l’enfermer. Elle le sentit ; mais il était trop tard pour reculer et d’ailleurs elle ne trouvait pas difficile de répondre, car Étienne continuait de pratiquer sa religion et menait une existence qui paraissait irréprochable. Le Père Lanjeais savait cela et la réponse de la marquise ne fit que confirmer les renseignements qu’il avait recueillis à cet égard. Il lui posa encore quelques ques-