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LA NOUVELLE REVUE

donnait la chapelle. La sombre façade, une muraille nue, très haute, sans fenêtres et sans ornements, contrastait avec la richesse intérieure de la grande nef ogivale, blanche, éclairée par de belles verrières ; au fond de l’abside, le maître-autel, les grilles du chœur et les lustres de cuivre brillaient somptueusement. Dans les bas-côtés ornés de fresques se dressaient des autels de bois doré surmontés de statues peintes représentant les membres de la Compagnie de Jésus béatifiés ou canonisés : Ignace de Loyola, François Xavier, Stanislas Kotzka, Louis de Gonzague. Le premier de ces autels, à droite en entrant, semblait l’objet d’un culte spécial. Le pavé de marbre qui le précédait était semé de palmes et de couronnes en fleurs artificielles. Cinq dalles funéraires portant des inscriptions latines recouvraient les corps des cinq Pères Jésuites odieusement mis à mort par la Commune de 1871 « en haine de la foi ». À cette heure la chapelle était presque vide : un sacristain disposait des candélabres et des fleurs ; quatre ou cinq femmes priaient çà et là, agenouillées dévotement. La marquise demeura sur le dernier rang de chaises et tira un chapelet de sa poche. Elle l’égrenait en songeant à son fils lorsque le frère portier vint la chercher. Le Père Lanjeais était rentré, mais obligé de ressortir presque aussitôt, il ne pouvait consacrer aux personnes qui l’attendaient que quelques instants.

Elle le trouva dans le parloir, une pièce assez triste qui prenait jour sur la rue de Sèvres par des fenêtres trop élevées au-dessus du sol pour qu’on pût voir au travers ce qui se passait dans la rue. Sa haute silhouette noire et mince se détachait sur le mur enduit de couleur claire ; il était en train d’expédier une dame exubérante qui se lamentait de « le voir si peu ». Il prit congé d’elle en soulevant d’un geste automatique sa barrette et du même geste salua Madame de Crussène. Il l’avait reconnue, mais dans le doute elle se nomma. « Madame la marquise, dit-il simplement, je suis à vos ordres ». Il avait une physionomie intéressante : le front large, les pommettes un peu saillantes, le nez droit et très fin, les narines ouvertes, la bouche serrée avec des lèvres imperceptibles, le menton en pointe ; son regard, assez pâle, se posait d’aplomb sur vous et vous transperçait. La parole était d’une netteté extraordinaire. Par instants un demi-sourire passait sur ses traits ; son regard alors s’abaissait et le sourire semblait se terminer en dedans. Toute sa personne respirait l’autorité ; on sentait en lui le serviteur d’une autocratie redoutable, mais un serviteur de premier