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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

dresse d’homme, s’en rappelant une autre, évanouie pour toujours et dont elle gardait un souvenir impérissable.

De retour à Paris elle s’ingénia à lui rendre la maison agréable, le pressant d’inviter ses amis. Un jour, sous la voûte de l’hôtel, elle croisa Vilaret ; c’était sa seconde visite en deux semaines. Elle en fit l’observation le soir. « J’estime beaucoup M. Vilaret, répondit Étienne, et j’ai le plus grand plaisir à causer avec lui ». Ce n’était pas ainsi qu’il eût répondu six mois plus tôt. Il gardait son idée alors, mais ne l’imposait pas, ne l’exprimait pas avec cette assurance tranquille. La marquise non seulement ne saisissait pas le motif de cette évolution, mais n’arrivait pas à en déterminer le caractère. Comment l’aurait-elle pu puisqu’elle en avait ignoré le point de départ ? Elle assistait à l’éclosion en spectatrice impuissante et désorientée.

Déjà la pensée lui était venue de demander des conseils à quelque homme d’expérience qui pût éclairer sa route. Mais à qui s’adresser ? Elle pensa au Père Langeais, de la Compagnie de Jésus, ancien préfet des études au collège d’Iseubre. On le disait désigné pour prendre à la rentrée prochaine la direction de l’Externat de la rue de Madrid. En attendant, il résidait, sans attributions bien délimitées, à la maison de la rue de Sèvres. Elle le connaissait un peu ayant été une fois à Iseubre voir les petits d’Alluin, Le vieux duc en faisait le plus grand cas. Sa réputation d’ailleurs était bien établie. Tout le monde louait sa sagesse, son intelligence et son tact. La marquise n’entendait pas lui faire des confidences intimes, ni même lui communiquer directement l’objet de ses inquiétudes maternelles ; elle se proposait seulement de causer avec lui afin de connaître ses idées sur la jeunesse : elle comptait sur de tels entretiens pour la guider et la réconforter.

Une après-midi de mai elle se dirigea vers la rue de Sèvres. La porte du no 35, une lourde porte cochère peinte en couleur foncée, était entrebâillée. Elle pénétra dans une sorte de vestibule clos par des cloisons vitrées ; un carreau s’ouvrit et la figure impassible du frère portier s’y encadra. Le Père Lanjeais n’était pas rentré, mais il serait là dans un quart d’heure ; deux personnes l’attendaient déjà, l’une au parloir, l’autre à la chapelle. Le frère portier donnait le renseignement de sa voix blanche. La marquise répondit qu’elle irait à la chapelle. Alors un cordon intérieur fut tiré, une porte vitrée s’ouvrit, et par un petit couloir également vitré Madame de Crussène gagna l’étroite cour intérieure sur laquelle