Page:La Nouvelle Revue - 1899 - tome 117.djvu/659

Cette page a été validée par deux contributeurs.
662
LA NOUVELLE REVUE

chissez-bien. Je vois que je vous ai ébranlé. Nous en recauserons. Croyez-moi, c’est là que sont l’avenir de la France et le vôtre. » Ils s’en allèrent chacun de leur côté. Étienne, malgré son dépit d’avoir été tenu si longtemps à écouter ce verbiage ne pouvait s’empêcher de rire à l’idée des Conseils d’arrondissement, se levant « comme un seul homme » au cri de : Vive le Roi !

ii

La foule qui sortait du théâtre de la Renaissance, semblait sortir d’une Église, tant elle était sérieuse et comme recueillie. On entendait bien çà et là, formuler quelque appréciation ironique sur la représentation qui venait de prendre fin, mais les plaisanteries sonnaient faux, les rires se perdaient tout de suite dans le silence, ou bien, si, dans certains groupes, l’on critiquait, c’était à voix basse et d’un ton presque respectueux, Jean de Châteaubourg attendit pour parler, que son compagnon et lui sentissent l’asphalte du trottoir sous leurs pieds : « En voilà une plaisanterie, bougonna-t-il, de vous attirer au théâtre, pour vous faire entendre un pareil sermon ! » Étienne ne répondit pas. Il était à cent lieues de là. Le drame d’Armand Sylvestre avait éveillé en lui trop de pensées angoissantes, fait vibrer trop de cordes intimes pour qu’il pût se reprendre si vite. Il avançait machinalement dans la grande clarté blanche que les lampes électriques projetaient sur le boulevard.

Ce n’était pas la voix d’Izeyl, la pécheresse en pleurs qui chantait en lui, c’était la voix du prophète, de ce fils de roi devant le trône duquel avaient défilé au premier acte, toutes les misères et tous les chagrins de ce monde et qui, désenchanté, désabusé, rejetant les insignes de son rang, refusant les hommages menteurs de ses courtisans, était descendu sur la route pour aller, pauvre volontaire, prêcher par son royaume la parole de Dieu et les promesses éternelles ; on le retrouvait plus tard, au pied du cèdre sacré, enseignant ses disciples, puis priant sur leur sommeil, tandis que le soleil levant dorait les cimes des vallées hindoues et les clochers blancs des monastères enfouis dans les forêts sombres. Puis il apparaissait à la fin, proclamant auprès d’Izeyl mourante les infinies grandeurs du repentir et de la souffrance… et c’était sous le voile symbolique d’une tragédie bouddhiste, la grande révolution chrétienne qui venait d’être résumée devant le public fin de