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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

TROISIÈME PARTIE


« Tu es un imbécile ! » s’exclama Jean de Chateaubourg quand il eût entendu la confidence de son ami ; et il reprit avec conviction : « Oui, un fameux imbécile ! comment ? te voilà joli garçon, riche et titré ; tu as une position épatante dans le monde ; toutes les mères te guignent pour leurs filles et il y a aussi des jolies femmes qui sont toutes prêtes à te guigner pour elles-mêmes… et tu vas lâcher tout ça pour te fourrer dans la politique !… Et dans quelle politique, sacrebleu ! ». Il arpenta la chambre et revint se placer en face du fauteuil où Étienne s’était assis. « Es-tu fou ? » demanda-t-il.

Étienne s’amusait de son indignation, mais il en était aussi peiné. « Voilà, songeait-il, non sans amertume, comment le monde me jugera. » C’était précisément pour savoir « comment le monde le jugerait » qu’il avait mis son ancien camarade de régiment au courant de ses projets. Jean de Chateaubourg avait un double titre à sa confiance. Il représentait l’opinion de ce singulier personnage qu’à Paris on appelle tout le monde et il l’exprimait avec une franchise absolue. Étienne et lui s’étaient connus au 9ème chasseurs. Un jour qu’ils se baignaient en rivière, Étienne pris dans des herbes avait failli se noyer et il n’avait dû son salut qu’au courage et à la présence d’esprit de Jean. De natures très différentes ils n’avaient pas tardé à s’apprécier. Ils se revoyaient toujours avec plaisir bien qu’ayant peu d’idées communes.

Jean menait à Paris la vie de beaucoup de jeunes gens désœuvrés ; le bal, le club et les courses lui suffisaient pleinement ; il avait un excellent cœur et nombre de qualités qui lui eussent fait honneur si elles n’avaient été annihilées par la maladie chronique de son temps et de son milieu, par cette sorte de flemme qui n’est point la paresse, car elle atteint parfois des actifs aussi bien que