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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

saient, le musée Simpson prenait un air vaguement sépulcral ; les pendules en forme de temples grecs, les vases à silhouette d’urnes funéraires semblaient des modèles de sépultures réunis là pour satisfaire les goûts du client le moins facile à contenter et ce n’était pas sans un sursaut d’étonnement qu’on percevait dès l’entrée le joyeux tintamarre des conversations mêlé à la plainte d’un piano martyrisé ou d’une guitare aux sons aigres. Il y avait toujours du bruit dans cette maison.

Cette fois-ci, un calme relatif y régnait à cause de la solennité de la circonstance. Les arrivants, — très nombreux — se séparaient en haut de l’escalier en deux files, d’après leur sexe, comme à la synagogue. La file des hommes aboutissait à Mrs Hetley qui pontifiait dans un coin du salon ayant auprès d’elle Miss Mabel pour faire les présentations. La file des femmes serpentait jusqu’à Mr Hetley qui s’inclinait béatement aux noms murmurés à son oreille par Miss Clara. Le ménage personnifiait vraiment le théâtre sous ses deux formes classiques : Mrs Hetley était ample comme la tragédie, Mr Hetley était ondoyant comme la comédie. La face glabre et le rictus du mari faisaient pendant au visage pompeux et au sourire amer de sa femme. L’impression restait de deux masques déjà vus quelque part, sans doute aux moulures en carton pâte des loges d’avant-scène.

Étienne de Crussène obtint la faveur de trois phrases, étant français et marquis et s’en alla rejoindre un jeune américain qui, n’étant rien du tout, n’avait été gratifié que de la traditionnelle poignée de main. « Que vous a-t-elle dit ? » demanda celui-ci avec une sorte d’émotion curieuse. — « Ma foi ! je n’en sais trop rien, répartit Étienne en riant. J’étais un peu distrait, je vous avoue. Si j’avais pensé que cela pût vous intéresser, j’aurais phonographié dans ma mémoire les paroles de Mrs Hetley. Je présume qu’elles ne différaient pas sensiblement de celles qu’elle vous a adressées à vous-mêmes. » — « Oh ! fit le jeune homme avec modestie, elle ne m’a pas parlé. Elle ne parle pas à chacun. » Étienne le regarda avec une surprise dont l’autre voulut connaître la cause. « Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Ce que je dis-là est tout naturel. » — « Peut-être, répondit Étienne, mais cela me semble si peu américain. On professe ici qu’un homme en vaut un autre ; on traite un ouvrier en blouse comme un gentleman ; et voilà une actrice en tournée qui gradue ses sourires d’après les parchemins ou les millions de ceux qu’on lui présente ! et vous trouvez cela parfait ! »