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bien ». — On dépêcha aussitôt un des enfants à la recherche du vieux Simon. Étienne prit la clef des mains du fermier, déclarant qu’il préférait aller seul au tombeau et, perdu dans ses réflexions, il s’achemina vers le petit bois de chênes.

Les arbres en étaient rabougris, leurs branches dépouillées de feuilles se contournaient tragiquement. Au centre un espace d’environ 60 pieds carrés était clos par un mur trop élevé pour qu’on pût voir par dessus. Une petite porte basse donnait accès dans l’enceinte ; Étienne eût grand peine à l’ouvrir. Dans la serrure rouillée la clef ne tournait pas. Elle céda enfin et grinça sinistrement sur ses gonds. Il s’attendait à trouver tout envahi par les ronces, mais des ronces lui eussent semblé préférables à la nudité lamentable qui s’offrit à lui ; sur le sol poussait un gazon maigre qui paraissait avoir été fauché récemment et que n’encadraient pas même un arbuste, pas le moindre feuillage. Le regard n’était arrêté que par le mur, le mur hideux dont la maçonnerie mangée par une humidité verdâtre s’effritait par endroits. Nul préau de prison n’aurait été plus lugubre. Au milieu s’élevait un sarcophage de forme très simple qui ne portait ni croix ni inscription d’aucun genre : sépulture anonyme que la mousse et les lichens dévoraient. Le cœur du jeune homme se souleva ; des larmes lui vinrent aux yeux. Il s’approcha du sarcophage et posa la main sur la pierre comme pour promettre à celui qui dormait là de le protéger contre le scandaleux ostracisme qui le poursuivait · jusque dans la mort. Une grille remplacera ce mur, pensa Étienne : j’édifierai ici une tombe de marbre surmontée d’une croix et portant une inscription et tout autour on entretiendra des fleurs ; et il ajouta tout haut comme si le mort pouvait l’entendre, comme s’il voulait prendre à témoin des esprits invisibles : « cela sera ainsi, parce que je le veux ».

Quelle mystérieuse puissance ont donc sur ceux qui les prononcent certaines paroles dites à certaines heures décisives. En prenant ce solennel engagement, Étienne se sentit un autre homme ou plutôt il se sentit un homme. Il lui sembla qu’en lui la volonté longtemps retenue, rompait les digues et s’emparait de tout son être. Il avait senti cela déjà le jour de l’arrivée de ses cousins lorsque la tentation de la fuite s’était présentée à son esprit et qu’il l’avait repoussée, mais combien cette fois la sensation était plus forte et plus complète. De l’endroit où il se trouvait, nul horizon matériel n’était visible, mais les regards de l’âme s’étendaient