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ses parois et complètement noircie comme si elle avait passé par le feu. Un cahot, un arrêt brusque, et la voix du cocher disant : « C’est ici, Monsieur », rappelèrent Étienne à la réalité. Il ouvrit les yeux. À trente pas le Menhir dessinait sur le ciel sa sombre silhouette et tout autour s’étendaient des broussailles. Tout cela était identiquement semblable à ce que le jeune homme venait de voir dans son rêve.

D’abord il ne comprit qu’à demi la mystérieuse coïncidence. Mais, la notion des choses lui revenant, une terreur s’empara de lui. Il entendit à peine les explications qu’on lui donnait sur la route à suivre. Il courut plutôt qu’il ne marcha vers le monument, C’était bien la clairière au sol dur, parsemé de graviers noirs qui ressemblaient à des morceaux de charbon. Le Menhir était noir aussi et lisse et se terminait par la même échancrure, et là bas il entrevoyait, glacé d’effroi, le sentier à travers lequel, il y a dix minutes, l’abbé guidait ses pas. Il s’assit : la sueur perlait à ses tempes. Il avait la certitude absolue, non seulement de n’être jamais venu là, mais de n’avoir jamais su qu’un pareil lieu existât. Le nom même de Menhir-Noir n’évoquait jusqu’ici dans son imagination aucune idée précise. La Bretagne est parsemée de ces restes druidiques… Et puis en admettant qu’une gravure, un dessin aperçus dans son enfance et oubliés depuis eussent imprimé dans son cerveau les lignes de ce paysage, il n’aurait pu avoir connaissance du sentier qu’il apercevait à dix pas de lui, parmi les broussailles. Il s’attendait à tout moment à voir son grand-oncle venir par là ; et vraiment cette apparition lui eût été un soulagement, tant la solitude lui pesait.

Enfin, rassemblant son courage, il se leva et se dirigea résolument vers le sentier. D’abord il ne se reconnut pas ; les buissons étaient hauts ; il marcha six à sept minutes sans savoir où il allait. Puis subitement le terrain changea d’aspect, devint sablonneux et s’abaissa. Quand Étienne eût atteint le bas de la pente, il se retourna. La même émotion qui l’avait étreint là-haut le reprit, car il voyait la colline de sable couronnée de broussailles sèches vers laquelle l’abbé l’avait mené. Il eût envie de fuir ces lieux, de courir après la diligence, de s’en aller à Crozon, à Morgat, n’importe où. Puis il se raidit, s’accusant de lâcheté, et reprit sa marche. Une campagne verte, paisible et insignifiante, s’étendait devant lui. À 500 mètres il apercevait à travers des bouquets d’arbres, une habitation. Il eût grand peur de se trouver en face du