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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

j’avais oublié ! Pauvre Coquette ! » Il apporta un sac d’avoine et un licou et les roula sous la banquette. Étienne prit la gourde, avala trois bonnes gorgées de rhum et la passa à son compagnon ; puis ils allumèrent des cigarettes et la voiture fila sur la neige. « Où allons-nous ? » demanda Jean-Marie. — « À Chateaulin ». répondit le marquis. Jean-Marie le regarda, ahuri. « À Chateaulin ! Monsieur Étienne, vous n’y pensez pas ! Et par ce temps ! Coquette y restera ». Étienne sourit. « N’aie pas peur. La neige n’est pas épaisse et d’ailleurs, elle nous servira de prétexte pour ne revenir que demain, si cela nous plaît ». — « Ah ! comme ça ! » fit le jeune Breton rassuré. Il se tut un moment, puis la curiosité reprenant le dessus, il s’apitoya sur les inquiétudes de la marquise. « Cette pauvre Madame, elle va se faire des tourments, sûr. C’est toujours comme ça quand vous courez les routes la nuit, sans le dire d’avance… Et par dessus le marché que vous n’avez pas pris de fusils. Elle verra bien que ce n’est pas pour chasser que vous êtes parti ». — « Je lui ai laissé un mot, expliqua Étienne, lui disant que nous allions à Quimer’ch voir l’épagneul qu’on m’a signalé ! » Jean-Marie le regarda en dessous d’un air méfiant. « C’tépagneul là, Monsieur Étienne, m’est avis à moi, que c’est… un canard ! » — « Ce n’est pas un canard du tout : seulement je ne le verrai pas : c’est toi qui iras le voir ». — « Moi ? j’irai à Quimer’ch ? » — « Parfaitement. Tu prendras le train. Nous nous retrouverons à Chateaulin, dans l’après-midi ». — « Alors, c’est sérieux ? Vous allez voir le tombeau de votre grand-oncle, là-bas, près de la mer ? » — « Oui, dit le marquis ; c’est là que je vais. Mais rappelle-toi ce que tu m’as promis ? Je n’ai confié ce projet qu’à toi et j’entends que personne ne sache demain d’où nous venons ». Jean-Marie protesta véhémentement qu’il n’en soufflerait mot à qui que ce soit et un long silence suivit. Le jeune Breton paraissait réfléchir profondément. Tout à coup, il communiqua le résultat de ses pensées. « Eh bien ! Monsieur Étienne, je trouve que c’est très bien comme cela, voyez-vous. Parce que moi, je ne tiens pas du tout à voir le tombeau du vieux Monsieur, soit dit sans vous offenser, J’aime beaucoup mieux voir l’épagneul. »

Étienne ne put s’empêcher de rire à cette déclaration et ils parlèrent du chien, des mérites qu’on lui prêtait et des points sur lesquels devrait porter l’examen que Jean-Marie lui ferait subir. Ils avaient suivi d’abord la route de Poullaouen, puis l’avaient laissée sur la droite pour gagner Plounevezel. Le village dormait encore