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LA NOUVELLE REVUE

temps et risquant de prendre toutes les maladies, tandis qu’un pharmacien réside béatement au milieu d’un grand nombre de bocaux portant des noms latins et reçoit, dans ce sanctuaire, toutes les confidences du voisinage. Le père Vilaret avait longtemps réfléchi à ces choses et comptait qu’Albert accepterait la proposition avec enthousiasme. Mais Albert sans hésiter et sans en témoigner le moindre regret refusa de devenir pharmacien, déclarant qu’il préférait la politique et s’était mis d’accord avec le directeur du Progrès républicain d′Ille-et-Vilaine pour lui fournir deux articles par semaine. Le Progrès républicain d’Ille-et-Vilaine attaquait très vivement la politique du maréchal de Mac-Mahon et l’Église par dessus le marché ; en sorte que tout dernièrement M. le Curé avait cru devoir, au prône, en interdire la lecture à ses ouailles et promettre solennellement l’enfer à son directeur. Le père Vilaret fut saisi, en entendant cette audacieuse déclaration, d’une colère formidable où le regret des bocaux de M. Guerpnec entrait pour autant que la crainte des châtiments éternels. Il offrit à Albert un vigoureux coup de pied et le poussa dehors.

Le jeune homme était beaucoup trop fier pour chercher à rentrer dans une maison d’où on l’avait expulsé de cette façon peu délicate. Mais la fierté ne nourrit point. Très embarrassé, il s’enfuit aux bureaux du journal et conta son aventure. Justement on venait de décider le renvoi de l’unique employé dont les habitudes d’ivresse prenaient des proportions inquiétantes. Albert s’offrit à le remplacer et, agréé, se mit sur le champ à coller des bandes et à écrire des adresses. Le soir, il étala par terre le matelas de son prédécesseur et s’y endormit tranquillement. Le lendemain matin il balaya le plancher et prit la plume pour rédiger son premier article. On était en pleine période électorale. Le 16 mai, le maréchal de Mac-Mahon cédant à la pression de son entourage avait renvoyé brusquement le ministère Jules Simon et lui avait substitué un cabinet réactionnaire. En même temps le Parlement avait été prorogé et la dissolution de la Chambre prononcée. Une période d’arbitraire et d’illégalité commençait. M. de Fourtou, ministre de l’intérieur, destituait les préfets et les sous-préfets par douzaines. Des journaux étaient saisis, des cercles fermés, des poursuites intentées contre tous ceux qui exprimaient en public une opinion contraire à celle du gouvernement.

L’article par lequel Albert Vilaret pour ses débuts « analysait la situation » était intitulé : « Pastiche maladroit ». Le maréchal y