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jouissaient dans le pays n’étaient proches d’aucune route ni sur le passage d’aucun sentier important. La solitude y demeurait donc introublée pour Étienne et il en profitait largement. Souvent il arrivait à cheval et dessellant aussitôt Rob Roy, laissait l’animal satisfaire en liberté ses caprices. Quand il n’apercevait plus à travers le feuillage des rares buissons, son joli poil fauve à reflets d’or, il le sifflait et Rob Roy accourait au galop. Ces jours-là, quand le feu brillait, l’installation d’Étienne ressemblait assez à un campement : la selle et la sangle traînaient sur l’herbe et le jeune marquis avec son costume de chasseur pouvait être pris pour un Cow-boy amateur ou pour un chouan fin de siècle.

V

Le Comte d’Alluin n’était point gênant ; il avait la physionomie et les allures d’un brave provincial sans en avoir la raideur ni les susceptibilités. Il jugeait avec beaucoup de bon sens que sa fortune n’étant pas à la hauteur de sa noblesse, sa femme et lui ne pouvaient recueillir de la vie de Paris que les ennuis et les tracas. Aussi était-il demeuré berrichon, menant sur le domaine familial une existence saine et large et entourant la vieillesse de son père d’affectueux égards. La comtesse, qui aurait été jolie avec seulement un peu plus d’animation et de piquant dans la physionomie, s’accommodait parfaitement de ce séjour ; elle s’occupait des pauvres et de l’éducation de ses plus jeunes enfants. Elle en avait cinq ; les deux aînés étaient élevés chez des Jésuites au Collège d’Iseulre, près de Moulins ; les trois autres — deux filles et un petit garçon de cinq ans demeuraient auprès d’elle sous la tutelle d’une respectable institutrice qui avait élevé auparavant mademoiselle Éliane d’Anxtot.

Avec cette dernière, Étienne se souvenait d’avoir joué au croquet un matin d’été, vers 1887. Cela se passait en Berri, chez les d’Alluin. Il était arrivé avec sa mère la veille au soir ; madame d’Anxtot et sa fille partaient à midi. Ce croquet unique lui avait laissé un excellent souvenir ; jamais il ne s’était tant diverti que ce matin-là. Mademoiselle Éliane en robe courte, avec ses cheveux dans le dos, son entrain et son rire perlé s’était fixée dans sa mémoire si nettement qu’il ne songeait pas à se la représenter maintenant avec des cheveux relevés et des robes longues. Sept années