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L’URGENTE RÉFORME

l’Angleterre de 1830. Un homme énergique et clairvoyant pourrait alors, soit en créant un établissement nouveau, soit en devenant le chef d’un des établissements déjà existants, tenter de renouveler l’œuvre d’Arnold. Si le succès couronnait son initiative, ce serait le meilleur stimulant pour pousser dans la même voie les établissements rivaux et bientôt l’éducation française se trouverait transformée. Dans la pratique il y aurait encore à tenir compte du génie d’Arnold et à noter les difficultés auxquelles il se heurta, les luttes terribles qu’il eût à soutenir. Il est toujours audacieux sinon imprudent de prétendre atteindre là où un homme de génie n’est parvenu qu’à grand peine. Mais enfin, le procédé serait logique ; j’ajoute qu’il n’y en aurait point d’autre et que toute réforme générale devrait pour s’étendre ensuite à tous les collèges, commencer par être appliquée dans l’un d’eux et par y réussir.

Or, rien ne ressemble moins que la réalité présente à l’hypothèse que je viens de former. Le champ de bataille éducatif en France est occupé depuis longtemps par deux armées rivales entre lesquelles il n’y a point de place pour faire manœuvrer une troupe indépendante. Ces deux armées peuvent se livrer d’interminables combats, car non seulement leurs forces numériques s’équilibrent à peu près, mais l’armement, la théorie, la hiérarchie… tout est pareil de part et d’autre. Seule, la couleur du drapeau diffère. À droite on se réclame de la religion, à gauche de la science. Les deux enseignes sont trompeuses ; dans un camp on fait trop souvent passer les intérêts matériels de l’Église avant ceux de la religion elle-même et dans l’autre on pose une série d’a priori négatifs sans souci pour les préceptes du libre examen scientifique. À cela près le lycée de l’État ressemble exactement au collège ecclésiastique : même discipline tracassière, mêmes habitudes d’espionnage chez les surveillants, mêmes ravages de l’immoralité chez les surveillés et surtout même pauvreté de doctrine chez les chefs. Prêtres et laïques se contentent de ce mot d’ordre napoléonien que je rappelais tout à l’heure. Leur but final est l’obéissance : ils ne souhaitent ou n’imaginent rien au-delà.

Mais les deux armées ne sont pas seulement puissantes par le nombre de leurs soldats et par la cohésion qui règne dans leurs rangs. Elles le sont plus encore par les ressources dont elles bénéficient. L’Université a pour elle l’appui financier de l’État. On la subventionne généreusement, on crée des bourses pour ses élèves et des retraites pour ses professeurs ; on restaure ses vieilles