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DEUX COURTS RÉCITS

l’ami qui débouchait le cognac et à l’ami qui attisait le feu dans la cheminée qui ne se sentissent grandir en valeur et en majesté. Nombre de dames venaient aussi qui se disputaient l’honneur de donner à H. un morceau de glace en se toisant d’un œil dur et froid. Mais vers minuit, il ne restait plus dans la chambre du malade que sa vieille infirmière.

Les amis, par l’entremise de députés, avaient pesé sur le Président du Conseil pour obtenir l’Extrême-Onction du Prince-Régent, et comme on l’a vu, ils y avaient réussi. Un aide de camp vint l’après-midi informer la sœur et le beau-frère de H. que S. A. R. arriverait vers quatre heures. Les amis aussitôt firent part de la nouvelle au malade après un court préambule qui en effaça le lugubre sens. Mais cette signification, aussi bien, échappait à H. ; et seule, sa vanité moribonde se ranima à ce violent coup d’éperon. « Ah ! le Prince, » balbutia-t-il, et ses yeux s’éclairèrent.

S. A. R. en descendant de voiture chez H. se trouva nez-à-nez avec nos cinq amis, avant d’aviser le beau-frère et la sœur, et en parut fort choqué. Il monta rapidement l’escalier, et exprima le désir que la famille l’introduisit. La famille l’introduisit bien, mais derrière, d’autres personnes suivirent et la chambre s’emplit de monde. Le Prince s’approcha du lit, et se pencha sur le malade. À la brève excitation antérieure avait succédé un état comateux.

« Me reconnaissez-vous, mon cher sénateur ? — dit S. A. R. — c’est moi, Adalbert. Je suis venu vous remonter un peu. Vous avez tant travaillé pour votre gloire et pour celle de notre pays. Le peuple et moi, vous remercions. Nous souhaitons que vous vous rétablissiez et que vous travailliez encore. » — Le Prince se tut, incliné un moment vers le moribond, puis il se redressa et dit à voix basse : « Je crois qu’il n’a pas entendu. » La sœur de H. remercia S. A. en pleurant. Un des amis, solennellement et tout haut, s’écria : « La Nation se souviendra et aussi la postérité ». Le Prince n’eut pas l’air d’entendre et prit congé de la dame et de son mari en disant que si le malade pouvait arriver à le reconnaître, il retournerait. Lorsqu’à son départ, il traversa le salon, un individu mal accoutré, avec une barbe de fleuve, se mit à le haranguer. « Votre Altesse a accompli aujourd’hui un de ces actes… » Mais son Altesse, excédée de ce monde là, lui tourna le dos et sortit.