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SIGISMOND DE JUSTH

refrains joyeux ; très vite arrivent les chants de détresse, les mélancolies lentes, les enchevêtrements interminables, la nostalgie de la Pousta.

La finesse exagérée de sa nature, l’acuité habituelle de ses sensations faisaient que dans les mélodies de Zsiga, cette nostalgie se manifestait plus vite que dans celles d’un autre. Les demi-tons se succédaient sous ses doigts ralentis ; ses yeux, ses grands yeux si clairs et si inquiets à la fois se fixaient vers un horizon invisible et nous nous disions les uns aux autres : le voilà dans sa Pousta ; lui-même nous y attirait bientôt.

Sigismond de Justh a aimé la steppe hongroise d’un amour étrangement exclusif, presque sensuel. Le seul de ses écrits qui soit traduit en français, Le Livre de la Pousta[1] en témoigne à chaque page. En vain s’entraîne-t-il à peindre des tableaux de genre dont quelques-uns indiquent un sens très fin du ridicule ; en vain s’arrête-t-il à noter les mœurs pittoresques, les raisonnements naïfs, les élégances naturelles de ceux qu’il croise sur sa route, c’est toujours la Pousta qui se lève dans son souvenir et qui peu à peu, chasse de son esprit toute autre préoccupation. Il la décrit sous tous ses aspects successifs et dans les regards de ses habitants, c’est encore son reflet qu’il cherche. Il y pénètre avant que le jour ne soit levé « En haut des myriades d’étoiles sèment une lueur blafarde sur la buée légère qui s’envole vers elles. En bas est la surface obscure et infinie du sol… peu à peu cependant les étoiles pâlissent ; un souffle zézayant vient doucement caresser les herbes, mettre un frisson dans l’air. Soudain, une voix d’alouette, rien qu’un son d’abord, traverse l’espace, réveille la vie et se perd ensuite dans le chant de cent et cent autres alouettes et bientôt lien mystérieux entre le ciel et la terre, de joyeuses psalmodies emplissent l’immensité du vide. Les millions de microscopiques grenouilles qui peuplent la prairie accompagnent de leur coassement doux et continu comme un murmure, le concert des alouettes… les couleurs aussi se réveillent et sur le toit de chaume encore grisâtre, quelques points dorés brillent. » À présent, c’est midi. « Pas un bruit, pas un mouvement. La Pousta, immense, sommeille. Une chaleur intense pèse sur la nature et en arrête momentanément la vie. Le cercle infini de l’horizon n’est interrompu que par la bascule d’un puits en fer

  1. 1 vol. Paris, 1892, Ollendorf.