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SIGISMOND DE JUSTH




En ce temps de snobisme cosmopolite où chacun s’efforce de faire valoir ce qu’il possède ou ce qu’il croit posséder comme les joailliers font valoir sur le velours des vitrines, leurs pierreries, vraies ou fausses — la rencontre d’une âme vraiment droite est une surprise délicieuse. Sigismond de Justh avait déjà conquis à Budapest une réputation méritée et la Jeune-Hongrie littéraire était tout près de le reconnaître pour son chef, que ses amis de Paris ignoraient encore jusqu’aux titres de ses ouvrages. Il ne leur en parlait point ; auprès du moindre d’entre eux, il se faisait disciple, écoutant beaucoup et de préférence, s’attardant aux confidences qu’on lui faisait. Sa nature tendre et sensible les provoquait ; il s’associait aux joies d’autrui, mais plus volontiers aux déboires et aux souffrances ; son sourire de sœur de charité aimait à panser ces plaies compliquées, profondes, illogiques faites par la civilisation d’aujourd’hui. Car lui-même était un « cérébral » ; le travail perpétuel de la pensée l’usait lentement… Que la maladie intellectuelle ait ainsi attaqué et dévoré une nature si noble, si pure, si élevée, voilà qui suffirait à établir la grandeur du péril dont elle nous menace et la nécessité d’un vaccin pour en préserver nos enfants. Je n’ose dire comment le mal se déclara. Je ne le sais point d’une manière certaine.

Il y avait chez Sigismond de Justh — chez Zsiga pour lui donner par delà la mort le diminutif gracieux dont se servaient en parlant de lui, les paysans de Szabad Szent Tornya, un peu de cet étonnement douloureux avec lequel Tolstoï contemple les injustices de ce monde — et au lieu de la sublime folie de redressement qui a amené le grand seigneur russe à vivre une existence d’exception et de bizarrerie, il en résultait chez lui, un sentiment d’impuissance à rien réformer qui se traduisait en accablement et en désespérance. Le premier hiver qu’il passa à Paris — ce devait