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UN MENSONGE HISTORIQUE.

Lisez ces lignes tirées d’un Mémoire confidentiel rédigé en juin 1822, par M. Ancillon, ministre prussien. « Une guerre de la Russie contre la Porte ne se terminera pas par l’acquisition d’une nouvelle province… il ne s’agira de rien moins que de refouler les Turcs en Asie et de substituer en Europe la croix au croissant. La Grande-Bretagne et la France, d’après leur politique actuelle, ne peuvent désirer ce résultat. » Et pendant que le sang coule à flots, qu’une lutte héroïque se poursuit sur ce sol sacré d’où avait jailli la source de la civilisation universelle, les cabinets continuent de causer, de s’envoyer des courriers, d’« échanger leurs vues ». Quelles seront « les garanties » que l’on pourrait procurer aux Grecs quand « ils se seront soumis » ? La question est à l’étude. On pourrait, répond la Russie, exiger de la Porte qu’elle prouve, par une série de faits, son intention de respecter la religion chrétienne. Une série de faits ! Ne dirait-on pas les finesses d’un livre jaune actuel ?

En 1824, on commença à s’étonner de cette longue résistance d’un peuple qu’on croyait mort et dont le réveil avait amené des sourires sur les lèvres de certains hommes d’État ? Les pourparlers s’accélèrent un peu, une idée géniale est mise sur le tapis ; il faut créer trois principautés grecques « pareilles à celles du Danube ». Avec la Thessalie, la Béotie, l’Attique, on fera « une Grèce orientale ». L’Épire et l’Acarnanie formeront la « Grèce occidentale ». La « Grèce méridionale » se composera de la Morée et de l’ile de Candie… Deux ans plus tôt, c’eût été la paix immédiate ; mais maintenant que le sang grec a coulé à flots, que des prodiges de valeur, des merveilles d’héroïsme ont été accomplis, parler de démembrement et de vassalité, c’est de la folie. Qui donc, parmi les Hellènes, ne préférerait la mort ? Cette idée de la suzeraineté du sultan, l’Europe y tient par-dessus tout. M. de Nesselrode vient de le déclarer de nouveau. « La Russie n’admettra jamais l’indépendance des Grecs. » Les « jamais » ne sont pas bons à employer ici-bas. Et la lutte s’acharne. Ibrahim, le fils de Méhémet-Ali, arrive à la tête de ses bataillons égyptiens, disciplinés et conduits, hélas ! par des officiers français qui rencontrent en face d’eux ces volontaires français enrôlés dans l’armée grecque. Voilà à quoi la France s’expose quand son gouvernement écoute d’autres voix que celle de la justice ! « La France, écrit le duc de Wellington, joue un double jeu. D’un côté, elle a entrepris la formation de l’armée égyptienne et, de l’autre,