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Son besoin de croire ne trouve autour de lui rien de solide où se poser. La vérité même, chaque fois qu’il croit la tenir, se change pour lui en erreur. « Au moment où la vérité se dévoile, elle n’est déjà plus vérité. » Alors il se crée à lui-même un idéal qui réponde aux besoins de sa nature. Cet idéal c’est le Uebermensch, l’homme suprême. Nous nous trouvons bien embarrassés pour donner à nos lecteurs une idée de cet être prodigieux qui, à mesure que Nietzsche avance dans le développement de sa doctrine, devient de plus en plus une vision quasi mystique. Cet homme suprême, l’homme de l’avenir, paraît personnifier, dans l’idée du philosophe, la quintessence de ce que la nature humaine peut ou pourrait donner ; c’est l’homme à la dernière puissance. Se prévalant de certaines apparitions héroïques dans l’histoire de l’humanité, apparitions qui semblent répondre, au moins approximativement, à ce type idéal, Nietzsche suppose une possibilité de sélection, une faculté de perfectionnement puissante chez l’homme. Quant à la femme, soit dit en passant, il la traite de la même façon que Schopenhauer ; il lui demande uniquement la beauté, le plaisir et la reproduction. Jamais, selon Nietzsche, on n’a tiré de l’homme tout ce qu’il peut donner.

C’est donc un être fait de l’argile humaine que rêve Nietzsche, mais un être de proportions gigantesques « la superbe bête primitive » affinée, perfectionnée par l’apport des acquisitions successives de l’esprit humain à travers les siècles.

Nietzsche ne se fait pas illusion ; son Uebermensch, n’est pas près de venir. « Les meilleurs parmi nous ne peuvent prétendre qu’au rang de précurseurs ». Pourtant, deux ou trois fois, il crut trouver, parmi les hommes modernes, des êtres qui se rapprochaient de sa conception suprême. Napoléon Ier inspire à Nietzsche des pages d’une admiration enthousiaste. Cet homme, « la synthèse du héros et du monstre », personnifie pour lui la glorification du droit d’exception. Napoléon mort épargnait à son admirateur fervent toute déception. Il n’en était pas de même pour Richard Wagner. Nietzsche avait le temps et l’occasion de le connaître, de l’adorer, de le renier et de le dénigrer.

Cette histoire de l’amitié entre Wagner et Nietzsche, histoire très connue en Allemagne, très discutée et commentée, est intéressante comme document pour l’histoire du mouvement wagnérien.

Nietzsche, qui insulte à toute faiblesse, qui raille toute abnégation, toute soumission, a subi, avec un abandon véritablement