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comme Nietzsche le fait. Ce sentiment, pour lui, est une restriction indigne d’un esprit libre. L’élite des hommes, cette infime minorité qui, pour Nietzsche, mérite seule qu’on s’occupe d’elle, se trouve hors et au-dessus de toute nationalité.

Des hommes comme Napoléon, Gœthe, Beethoven, Stendhal, Henri Heine, Schopenhauer, même Richard Wagner, malgré sa propre erreur à cet égard, — des génies de la nature du sien ont rarement le privilège de se connaître — n’usaient du patriotisme que pour se reposer d’eux-mêmes, en se limitant.

L’espérance, en dépit de nos illusions tenaces, est le pire des maux, parce qu’elle les perpétue indéfiniment. Si l’espoir n’était pas de ce monde, les hommes sauraient vite ce qui en est de la vie, ils s’en arrangeraient ou s’en échapperaient, mais la duperie éternelle de l’espérance les retient, au prix de déceptions sans cesse renouvelées.

Nietzsche réduit la conception du bien et du mal à une simple préoccupation de conséquences.

L’idée du Bien et du Mal n’est qu’une question d’utilité publique.

Les actions qui, d’une façon quelconque, compromettent le bien-être de la société sont réputées mauvaises.

Un homme bon est un homme bon à quelque chose au profit de la vie commune.

La détermination d’une morale est un acte de désintéressement de la part de la société, chacun préférant faire quelques sacrifices, en livrant à la réprobation générale tel ou tel instinct pour lequel, individuellement, il aurait peut-être de la sympathie, en vue de faciliter le mécanisme de la vie en commun.

Aux principes de notre morale moderne, pour laquelle il professe le plus profond mépris, Nietzsche oppose « la morale noble », la « morale des maîtres ». Il nous prévient que pour nous autres, hommes modernes, il est difficile de comprendre et d’approuver cette morale ; qu’il faut beaucoup de courage et un détachement complet de tout préjugé pour la définir et la défendre.

Les bases de cette morale sont le respect de sa propre force, la foi en soi-même, le courage, la dureté de cœur, le mépris pour tout ce qui est pitié et désintéressement ; puis la vénération des ancêtres, fondateurs de nos prérogatives, la méfiance pour tout ce qui s’appelle progrès, avenir. La morale des maîtres enseigne