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du croissant avait cessé de compter parmi les ennemis de l’œuvre généreuse de la chrétienté.

Malgré les vicissitudes de l’évolution de ce vaste pays, la Russie, au XIe siècle, présente l’aspect d’un empire occidental. Le christianisme y a introduit des mœurs moins cruelles, l’organisation judiciaire est solidement établie par la promulgation du code russe[1] complété par les corps de droit de Justinien et de Basile le Macédonien. À Jaroslaw, le Tsar, le César de cette grande succursale de l’empire de Byzance, va ouvrir ses États en asiles pour les princes anglais et Scandinaves exilés de leurs patries, et il s’allie par des mariages aux maisons les plus puissantes de l’Europe ; parmi elles la maison de France. Sa fille Anna épouse Henri Ier.

Kiew, la capitale, est, sur la grande route commerciale de Byzance une station où passe le trafic des marchands hongrois, allemands, hollandais et Scandinaves. Émule de la ville mère, Constantinople, elle, possède déjà sa cathédrale de Sainte-Sophie, et sa porte d’or, sans compter ses quatre cents églises.

Elle a des artistes grecs, un clergé grec, une écriture en lettres grecques, une littérature grecque ; elle-même enfin passe pour une cité grecque.

C’est à juste titre que, pour l’honneur de la Russie, les historiens ont vu en elle l’héritière de l’empire d’Orient, héritier lui-même de la culture antique après la destruction de Rome par les vrais barbares, les Goths et les Vandales.

Laissons passer quelques siècles. À l’issue du quinzième, malgré l’invasion mongole, qui ne fut jamais une conquête régulière, la Russie n’est pas inférieure à sa mission.

Byzance est tombée sur les ruines du Bas-Empire, et sous les haches des Turcs le dernier rempart de l’Occident est pris d’assaut. C’est alors que Moscou va remplacer Byzance. Là se réunit une partie des émigrés, emportant les trésors de l’érudition savante, artistique et industrielle de l’antiquité hellénique.

Ivan III, marié avec une princesse byzantine, Sophia Palæologa, groupe autour de lui des hommes d’État, des diplomates, des ingénieurs, des théologiens et des artistes de Rome, de la Grèce ; il entre en relations politiques avec la Vénétie, l’Autriche, la Hongrie, le Pape ; il fait élaborer le Code général ;

  1. Prawda Russkäja (1019), d’origine Scandinave.