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QU’EST-CE QUE LA RUSSIE ?[1]



En ce moment où un traité est signé ou va l’être entre la France et la Russie, on a voulu flétrir cette union comme une alliance à un degré prohibé, ou pis encore comme une mésalliance entre la nation la plus civilisée et le Barbare. Or, il est des mots qui circulent comme de la fausse monnaie, jusqu’au jour où la pierre de touche les fait passer au rebut. Voyons ce qui en est de la barbarie russe.


En retraçant les traits essentiels de l’histoire de la civilisation russe, il faut remarquer tout d’abord que le peuple est fait d’une infinité de tribus qui se réunissent en États sous la domination de grands-ducs disséminés sur les vastes plaines de la Sarmathie. Déjà avant l’ère chrétienne des colonies grecques et romaines s’étaient implantées sur les bords septentrionaux de la mer Noire et les Scythes ne cessèrent jamais d’entretenir des relations commerciales avec les nations civilisées. Les antiquités trouvées en Crimée en fournissent la preuve.

À la chute de l’empire romain d’Occident, la civilisation se déplace ; le nouveau centre est à Byzance et de là la lumière rayonne bientôt vers les peuples du Nord. Wladimir, le fondateur de l’empire russe, épouse une fille de Romanov II, empereur de Constantinople, et reçoit le baptême. La Russie a fait son entrée sur la scène de l’histoire européenne pour accomplir sa mission de gardienne des frontières de l’Asie. Les barbares d’alors, c’étaient les peuples mahométans dont les intérêts, par le baptême de Wladimir, devenaient pour jamais incompatibles avec les intérêts civilisateurs de l’Europe. La Russie ayant planté la croix en face

  1. M. Auguste Strinbderg, auteur de l’article qu’on va lire, est l’un des premiers écrivains démocrates de la Suède ce qui donne à son jugement sur la Russie un intérêt particulier.