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lettres sur la politique extérieure

Quel visage a fait, quel horizon a montré, quel spectre rouge a évoqué M. de Bismarck à Salzbourg ? D’un côté la Russie nihiliste et l’homme qui a joué des conspirations polonaise et hongroise, de l’irredenta en Italie, du socialisme en Saxe, de l’internationale en France, connaît le moyen de jouer du nihilisme ! Il peint cette Russie qui peut vouloir tout à coup la guerre comme dérivatif à sa question intérieure et peut soulever en Autriche vingt millions de Slaves ; d’une part, l’Italie irredenta toujours prête quand M. de Bismarck veut l’agiter ; de l’autre la France, « lancée sur la pente du jacobinisme » et où notre plus cruel ennemipossède tant d’éléments de désordre conscients ou inconscients. Tout cela, certainement, dans les mains d’un habile escamoteur, prit, comme les grains de mil, assez de consistance pour faire voir à un politique ou naïf ou soumis comme le comte Andrassy qu’il n’y a de possibilité d’union européenne qu’entre l’Autriche, jetée hors de la Confédération germanique, et l’Allemagne, cette admirable cariatide aux bienfaisantes épaules, qui soutient l’équilibre du monde entier.

Alors il a été facile, l’Autriche-Hongrie persuadée, abusée, de reprendre, sans efforts d’imagination, l’ancien traité conclu avec la Russie et de faire avec ce vieux de nouvelles conventions que M. de Bismarck payera de la seule monnaie qu’il ait jamais à la main et à la poche : l’ingratitude.

Mais l’ingratitude a son danger. C’est elle qui oblige à raisonner froidement des griefs qu’on croyait avoir mesurés avec justice. La Russie actuellement se dit, après avoir dévoré le chagrin de l’ingratitude de l’Allemagne : « Il est vrai que l’Autriche, durant la guerre de Crimée, ne nous a pas fait le bien qu’elle aurait pu faire, mais elle ne nous a pas fait de mal, au contraire. Car durant le Congrès de Paris elle s’est efforcée de nous épargner l’humiliation du paragraphe II sur la neutralisation de la mer Noire ». En établissant le bilan slave, la Russie voit que les Slaves sont respectés par l’Autriche, et que, sur les trois co-partageants, c’est elle qui, en Gallicie, a le mieux sauvegardé les mœurs, la langue, les coutumes des Slaves.

En Hongrie, la Croatie a sa complète autonomie nationale,, tandis qû’en Prusse, à Posen, il n’y a plus trace de slavisme.