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ou bien :

Ce teint pâle à tous deux me rougit de colère ;

ou bien :

Que mon fer et mon feu ne touchent point ton cœur !

ou encore :

Il me devient cruel de ne te l’être pas !

Je ne cite ici que pour mémoire pour faire voir combien Corneille, tout réformateur qu’il fût en vérité, avait encore de déférence pour le mauvais goût de son époque, en persistant non seulement dans les imbroglios scéniques et les intrigues stériles, mais encore dans les puériles subtilités d’expression qu’applaudissait le parterre. Considérons, en revanche, avec cruelle fière indépendance son génie s’élève parfois à ces idées, à ce langage que les spectateurs ne connaissaient pas et dont il les obligeait d’admirer la force, la concision, la chaleur et aussi parfois la majesté. Nul n’avait encore parlé ainsi ; mais si jeune et imparfait que fût le poète, c’était Corneille.

Son accent est sensible déjà dans Mélite, lorsqu’un amant accuse son infidèle maîtresse :

C’est donc là ce qu’enfin me gardait ton caprice !
… Tu m’oses préférer un traître qui te flatte,
Mais dans ta lâcheté ne crains pas que j’éclate
Et que par la grandeur de mes ressentiments
Je laisse aller au jour celle de mes tourments !

Ailleurs il saura par avance concentrer sa pensée dans cette forme brève et sentencieuse qui est devenue l’un des caractères de son style tragique. C’est ainsi qu’il dira :

Chacun en son affaire est son meilleur ami
Et tout autre intérêt ne touche qu’à demi ;

ou bien il résumera d’un mot toute une situation :

Que sert le désaveu quand la preuve est certaine ?

et encore :

Dois-je être sans raison parce qu’ils sont sans foi ?

Citons encore dans Clitandre :

Pensez plutôt à ceux dont le service offert,
Accepté, vous conserve, et, refusé, vous perd ;