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cette musique vraiment céleste qui évoque toute la pureté de l’argent, du cristal, du clair de lune. Et se tournant vers moi avec une douceur inconnue dans ses yeux bleus :

— N’est-ce pas, c’est beau ?… C’est l’amour virginal dans toute sa grâce… Elsa a votre âge, dix-sept ans, dix-huit ans au plus. Écoutez maintenant le dialogue de la chambre nuptiale… Jamais la tendresse humaine n’a trouvé des accents plus chastes… Le duo d’amour est pur comme la prière. Et quelle jeunesse, quelle jeunesse !…

Penchée, je tournais lentement les pages, et la tête brune de Rambert frôlant mon épaule, il semblait chanter à mon oreille, pour moi seule, de cette voix parlée qui ne s’élève pas au-dessus du murmure… Ah ! que nous étions loin des joueurs paisibles, du salon en peluche et satin, du boulevard où gémissaient les tramways ! Comme elle chantait divinement, ma jeunesse, à l’unisson de la jeunesse d’Elsa !…

Quel recueillement religieux, quelle sérénité dans nos âmes !… D’où venait que j’étais prête à pleurer ?…

— Permettez-moi de vous laisser la partition, dit Rambert.

— Oh ! oui, fis-je avec joie.

Il se leva et s’appuya au balconnet de la fenêtre. Invinciblement, une force me conduisit près de lui. Je murmurai

— Je voudrais… Je voudrais chanter votre musique… Pourquoi ne m’apporteriez-vous pas…

— Oh ! dit-il, la musique que vous chanterez, je l’écrirai pour vous seule. Vous l’aurez inspirée. Votre voix lui donnera la vie… Et ce sera beau, je vous jure, ajouta-t-il avec un accent d’enthousiasme… Je vis dans ce rêve, depuis que je vous connais.

Mon cœur battit. Je ne songeai ni à me retirer, ni à feindre l’indifférence, ni à jouer la coquetterie… Ma pauvre petite âme était suspendue aux lèvres de Rambert.

— Jusqu’à ce jour, dit-il encore, j’ai travaillé peu et mal. Je suis un impulsif, je vous l’ai dit. L’inspiration ne me vient qu’avec la fièvre. Je vis d’émotion… et quand je me sens compris et encouragé, une audace joyeuse me soulève… Seul, je retombe à plat dans l’ennui de la vie bête et médiocre. Ah ! pour me faire aimer, je me trouverais du génie !…

Je me taisais. Il reprit :

— Peut-être n’ai-je même pas du talent !

— Ne dites pas cela, m’écriai-je, vous avez du talent. Vous