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Il ne soupçonnait pas que j’étais la « demoiselle de la maison ». Je répondis d’un air d’intelligence :

— Et vous, monsieur !

— Moi ! Je me ménageais déjà une honorable retraite, mais Mme Laforest avait pris la responsabilité de ma bonne tenue. Hélas ! on ne devrait jamais mener les artistes dans le monde ! Et puis, Mme Gannerault m’a si cordialement reçu !

— Et vous pousserez le dévouement jusqu’à danser.

— Ah ! non, par exemple !

Je me mis à rire malgré moi. Il paraissait s’amuser à notre dialogue.

— Vous devez me trouver bien impoli. Mais trois heures de musique italienne et un bal, c’est au-dessus de mes forces. Ah ! si on nous avait donné du Schumann, du Glück, du Wagner ! J’aurais rengainé mes petites complaintes, mais je serais content. Êtes-vous musicienne, mademoiselle ?

— Je chante un peu.

— De l’Auber ?

— Du Rameau, du Lulli. Vous connaissez l’air d’Amadis : « Bois épais ? » C’est de la musique très simple, un peu vieillotte, n’est-ce pas ?

— Eh ! elle a du caractère et du charme, cette musique. Êtes-vous soprano ou mezzo ?

— Contralto grave.

— Vraiment ? C’est singulier. Vous n’avez pas le type physique du contralto. Le contraste doit être amusant. Pourquoi n’avez-vous pas chanté, ce soir ?

— Ma marraine ne le permet pas encore.

— Votre marraine ?

Mme Gannerault…

Rambert demeura stupéfait :

Mme Gannerault, votre marraine… Alors, vous êtes… vous êtes…

— Marianne Taverley, la pupille de M. Gannerault.

— Eh bien ; dit le musicien, je vois que j’ai fait une jolie gaffe.

— Parce que vous n’aimez ni la musique à roulades, ni les bourgeois que ma marraine est obligée de recevoir ? Bah ! je ne raconterai pas vos impressions, soyez tranquille… Et si vous vous ennuyez chez nous, je vous pardonne votre ennui à cause de votre belle musique…