Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/794

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ainsi, d’instinct, sûres de former une belle harmonie. Vêtues de blanc, dans un triple nuage de tulle où chatoyait la nacre des ceintures de satin, nous réalisions les trois aspects de la jeune fille : la passionnée, la passive, la frivole. Et près de la grâce blonde, un peu mièvre, de Madeleine Larcy, près de la gaie mutinerie de Laurette, vraie fille de Paris aux tresses châtain, aux yeux couleur d’eau, ma petite tête aux lignes fermes, couronnée de cheveux noirs, accentuait son caractère de tendre énergie.

— Vous êtes jolies comme les Grâces, nous avait dit le père Perronnet, le musicien qui aimait encore les comparaisons mythologiques et les compliments surannés.

Cependant les duos, les cavatines, les romances sévissaient. J’exécrais cet art italien, ces trilles, ces roulades, ces effets qui mettaient en valeur la souple voix de ma marraine. Chanteuse experte, excellente pianiste, elle n’était guère plus artiste qu’un joueur d’orgue de Barbarie et la plupart de ses invités se pâmaient aux tours de force qu’elle exécutait hardiment. Mme Gannerault se piquait d’être réactionnaire en art comme en politique, et pour une heureuse inspiration de Rossini et de Meyerbeer, elle nous servait vingt ritournelles vulgaires, larmoyantes, raccrocheuses comme des courtisanes, habiles à susciter les émotions de pauvre qualité. Que de Plus blanche que la blanche hermine ! que de Nobles seigneurs, salut ! nous furent infligés ! Les élèves de ma marraine se gargarisaient de vocalises, à la grande admiration de l’auditoire composé de ces riches bourgeois qui aiment le café-concert, le couplet égrillard, la littérature sentimentale et la peinture bien finie.

— Quel malheur ! disait Mme Gannerault, Marianne, avec sa jolie voix — un contralto étonnant ! — Marianne n’aime pas la musique !

Assurément je n’aimais point cette musique qui ravissait ma marraine et mon tuteur. Mon culte allait à Beethoven que je connaissais peu, remontait à Haydn, à Rameau, à Lulli même. J’ignorais complètement les maîtres modernes, Schumann, Wagner, Berlioz, que je devais tant aimer.

Le concert était presque terminé quand Mme Gannerault, traînant sa longue robe de velours noir, fit un petit geste qui commandait le silence.

— Mesdames, dit-elle en promenant sur ses élèves et amies le bienveillant regard du professeur satisfait, une surprise char-