Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/786

Cette page a été validée par deux contributeurs.

femme qu’une page de la Sérénade avait glissé derrière le piano. J’allais tirer le battant de la porte qui n’était pas fermée, mais poussée tout contre l’autre battant, quand un spectacle aperçu par l’étroite fente me cloua net derrière le vantail.

Maxime, assis sur le canapé, tenait sur ses genoux Mme Laforest, très rouge, les cheveux défrisés, le corsage fripé. Il l’enlaçait hardiment, tandis qu’elle se renversait en arrière avec un rire muet. Soudain, elle sembla céder. Ses mains s’ouvrirent, ses bras se dénouèrent. Maxime se pencha et je vis leur baiser — leur avide, leur lascif baiser — qui me sembla durer une heure. Une voiture passa, ébranlant les vitres. Des cristaux s’entre-choquèrent. Brusquement ils furent debout, tous les deux.

— Bête ! dit la jeune femme, d’un ton de reproche.

Ils écoutaient… Rassurée par le silence, elle continua :

— Tu as perdu la tête !… Ici !… Eh bien ce serait drôle si ta mère nous surprenait !

— Bah ! dit tranquillement Maxime, quand c’est dangereux, c’est bien meilleur.

Il prit Mme Laforest par les épaules :

— Ma mère ! Ça la flatterait pour moi, voilà tout. Que j’aie vingt maîtresses, elle s’en moque, pourvu que j’épouse, au bon moment, une demoiselle à sac… Allons, Mimi à ce soir… Ton mari ne nous fera pas la blague de nous surprendre !

— Ah ! le pauvre homme ! Il est loin !

Elle lui offrit sa bouche… Je me rejetai dans la salle à manger.

Mon cœur battait. Il me semblait que j’étais témoin et complice d’un crime. Certes, je ne comprenais qu’à demi jusqu’à quel point pouvaient être coupables ces deux êtres que j’avais surpris enlacés. Mais ce baiser, ce tutoiement !… Je sentais, avertie par l’instinct naissant de la femme, qu’ils faisaient ou voulaient faire quelque chose de mal.

Ma marraine me trouva fort pâle quand elle revint. L’émotion, la fatigue, le jeûne de la matinée expliquèrent mon malaise. Nous reprîmes le chemin de l’église.

Si pendant la messe j’avais péché par involontaire froideur, je péchai par indifférence aux vêpres de l’après-midi. J’avais souvent ouï dire que l’avenir de toute une vie dépendait de la première communion, et je m’attristai de ma propre frigidité. J’avais beau m’évertuer à chercher des pensées pieuses, chanter à