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et, ailleurs, « qu’il tâchait de ne mettre dans la bouche des personnages que ce que diraient vraisemblablement en leur place ceux qu’ils représentent » ; tantôt il usait et abusait de la pointe et des ornements à la mode, tantôt il affirmait faire tous ses efforts pour en débarrasser le langage. Au fond, il ne paraît pas avoir eu de principes bien arrêtés et il se laissait aller à l’inspiration du moment avec une parfaite complaisance. Il s’accommode très volontiers de ces épisodes de galanterie, de cet amour subtilisé et de son verbiage. On doit même reconnaître que les labyrinthes de la composition, les sentiments outrés, les obscurités des discours, tous ces défauts admirés de son temps, s’accordaient assez bien avec certaines tendances de son esprit, puisqu’on les retrouve parfois dans les plus admirables tragédies de son âge mûr.

Mais par la même raison qu’il s’abandonnait naïvement à sa verve en acceptant tous ces procédés artificiels et raffinés, il laissait aussi couler de source en pleine liberté et avec une facilité pareille des tirades de forme simple et austère, des vers exquis à la fois-et robustes, dignes de ses œuvres futures, soit qu’il se maintienne dans le ton léger de là comédie, soit qu’il trouve tout à coup l’accent du drame. Dès sa première pièce qui est Mélite, il fait entendre çà et là au public un langage jusqu’alors inconnu. Par exemple, ce charmant passage sur les mariages d’amour et les mariages intéressés, tout noyé qu’il soit dans un dialogue affecté, révélait la façon de dire correcte et précise d’un maître écrivain :

Une femme, fùt-elle entre toutes choisie,
On en voit, en six mois, passer la fantaisie.
Tel, au bout de ce temps, n’en voit plus la beauté
Qu’avec un esprit sombre, inquiet, agité :
Au premier qui lui parie ou jette l’œil sur elle,
Mille sottes frayeurs lui troublent la cervelle.

Et plus loin, voici, sur le mode plaisant, l’éloge des solides avantages qu’assure le mariage d’argent :

La beauté, les attraits, l’esprit, la bonne mine,
Échauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine,
Et l’hymen qui succède à ces folles amours,
Après quelques douceurs, a de bien mauvais jours :