et doux, ancien proviseur d’un lycée de province, révoqué après le Seize-Mai pour avoir étalé trop naïvement ses sentiments légitimistes, avait gardé les allures un peu gourmées et dignes, l’innocent pédantisme du langage qui révélaient le vieil universitaire. D’ailleurs, il avait — lui, si bon et si faible — il avait sur la règle, la loi, le devoir, les théories les plus absolues qu’il exprimait à toute occasion et qu’il aurait mieux fait d’appliquer à la direction de son ménage… Mme Gannerault, ma marraine, n’était pas aimable tous les jours. Elle avait été fort jolie et faisait encore un bel effet, aux lumières, quand un fard léger rendait à son visage un éclat faux et charmant. Ses cheveux blond foncé, tordus très bas, laissaient glisser deux longues boucles sur les belles épaules mûres, savoureuses comme un fruit de fin d’été. Jadis, dans la bonne société de N…, avant la guerre, elle avait eu des succès de beauté et de toilettes et, ruinée, vieillie, elle ne désarmait pas. Comme, après tout, on n’était pas riche, elle s’était résignée à donner des leçons de chant et, tous les ans, elle brillait dans quatre ou cinq concerts chez la baronne Z… et la comtesse T… ses élèves. Aimable, d’une bonté facile et superficielle, elle plaisait beaucoup et s’enorgueillissait de ses relations si, distinguées… Mon parrain était-il assez distingué pour les relations de sa femme ? Je ne sais, mais en tout cas on ne le voyait guère, les dimanches de réception, dans le grand salon blanc et or. Certes, devant les étrangers, Mme Gannerault ne se permettait pas les petites moues méprisantes réservées pour la vie intime. Au contraire, elle ne manquait jamais l’occasion de dire « Quand M. Gannerault a payé de sa situation la fermeté de ses opinions politiques… » — Dans les familles bien pensantes, cette petite phrase ne ratait jamais son effet…
Et pourtant, dans cette âme faite de jolies frivolités, de sensibleries quasi ridicules et de sentiments médiocres, une passion s’était développée, unique, absolue, aveugle et touchante. Mme Gannerault n’avait aimé, n’aimait et n’aimerait jamais que son fils. Maxime était tout pour elle. Il remplaçait l’époux que M. Gannerault ne savait plus être, l’amant que Mme Gannerault n’aurait pas pris, la fortune qu’elle n’avait pas eue, la gloire qu’elle aurait pu avoir… Il était la vivante revanche de la faiblesse et de la médiocrité auxquelles son sexe la condamnait. Elle le chérissait avec cette maternité animale, tantôt sublime, tantôt féroce, des femmes qui n’ont pas eu la vocation de l’amour,