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noblesse, altières et pauvres. Pourquoi ma mère, si jeune — vingt-sept, vingt-huit ans au plus — vivait-elle ainsi toute seule, sans parents qui m’eussent été un aïeul indulgent, une tendre grand’maman toute blanche ? Je savais que mon père était mort. Où donc ? En quelles circonstances ? Il y avait dans l’histoire de ma famille un tas de noms, de détails, de mystères que je ne comprenais pas. D’ailleurs, je pensais rarement à ce père dont je n’avais gardé nul souvenir, dont aucun portrait ne m’avait révélé le visage et je savais — par instinct et par expérience — qu’il en fallait parler le moins possible, pour ne pas attrister maman.

Et voilà que la destinée agrandissait le vide autour de moi. Ma mère mourait. Les bonnes sœurs qui m’avaient emmenée dès les premiers jours de sa maladie m’appelaient à la chapelle et, avec d’infinies et maladroites précautions, m’apprenaient que maman était partie bien loin, pour bien longtemps, pour toujours peut-être. « Où donc ? ma sœur, où donc ? » Hélas il est un pays où s’en vont les enfants loin des mères, les mères loin des enfants et d’où les enfants et les mères ne reviennent jamais. Oui, j’avais pressenti la vérité. Maman, ma pâle petite maman aux cheveux noirs, était au ciel, avec Jésus et les anges. De là-haut, elle m’aimait encore, elle me surveillait, elle me parlerait tout bas si je savais l’écouter dans mon cœur. Mais Jésus, le ciel, les anges, tout ce merveilleux mystique dont on entourait pour le voiler et l’adoucir le sinistre mystère de la mort, rien ne pouvait me consoler, soulever le poids qui oppressait ma poitrine et sécher les premières larmes vraies qu’eussent pleurées mes yeux d’enfant.

Mon parrain m’avait emmenée alors et les incidents du voyage, la patiente douceur de l’excellent homme, avaient distrait mon petit esprit mobile et docile. Un mot de Mme Gannerault rouvrait en moi la source des pleurs. Peu à peu ; cependant, elle me consola, m’attirant sur ses genoux, apprivoisant l’oiselet sauvage. Je ne devais pas m’effrayer, ni croire qu’elle voulait me faire oublier ma mère. Mais puisque j’allais vivre auprès d’elle, dans sa maison où je serais si heureuse, où parrain me gâterait tant, où Maxime serait mon grand frère, il fallait bien l’aimer un peu, la traiter comme une tante, une cousine, une marraine. Et ravie de son idée, de ce nom qui flattait sa sensibilité de bourgeoise romanesque, elle conclut :