qu’il devait dominer plus tard, mais dont il attendait alors la renommée, n’était pas en mesure de rompre en visière aux traditions contemporaines et il n’en eut même pas l’idée ; mais, comme je l’ai dit plus haut, il ne se peut faire qu’un homme de cette trempe, même égaré dans un genre qui n’est pas le sien, n’y apporte quelque chose de sa raison, de sa pensée, de son énergie, et, sans le réformer d’autorité, ne le rectifie et l’élève. Il est ainsi advenu que Corneille, tout en travaillant d’après les données antérieures, ne s’y est pas servilement assujetti. Dès sa première pièce, qui est Mélite, le progrès est manifeste et il s’accentue dans les ouvrages suivants. Tantôt c’est un passage délicat, ressenti, d’une élégante facture, tantôt c’est le dessin ferme et précis d’un rôle, tantôt c’est la mise en relief d’un sentiment vrai et d’une idée heureuse qui éclaircissent les obscurités de l’ancien système. Puis, l’ensemble s’anime, quelques personnages se rapprochent de la vérité ; parfois, dans une scène languissante ou dans une tirade embrouillée, surgissent une réflexion lumineuse, un vers magnifique ; enfin et surtout l’auteur est en possession d’un style ignoré de ses devanciers et que les spectateurs applaudirent sur-le-champ, y reconnaissant d’instinct la forme définitive de la langue française.
Ces mérites appartiennent en propre aux comédies de Corneille ; il faut les voir et les comprendre sans s’arrêter aux combinaisons médiocres, aux sentiments faux, à l’emphase, aux jeux d’esprit qui sont les erreurs du temps. Il convient de savoir gré au poète qui, enfermé dans ce cercle qu’il ne pouvait rompre — sa force étant réservée à d’autres entreprises — a su du moins dans cet espace étroit placer d’agréables scènes, des vers charmants, des tirades ingénieuses, parfois éloquentes, et disposer le spectateur à accepter sans effort la vraie comédie lorsqu’elle lui sera révélée. Examinons de près ces scénarios tantôt bizarres, tantôt naïfs, toujours dénués d’intérêt moral et de valeur dramatique, et nous apprécierons combien il a fallu d’énergie et d’art pour que de telles pièces, non seulement se tinssent debout, mais encore pussent, malgré leurs maladresses et leurs lacunes, initier le public à l’intelligence d’un idéal supérieur et, de loin, par quelques pensées éparses, quelques caractères ébauchés, évoquer un monde inconnu. Cette période comprend sept ouvrages donnés sans interruption pendant six ans, Mélite, Clitandre, la Veuve, la Galerie du palais, la Suivante, la Place