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inutile de multiplier les exemples : tout le monde les a devant les yeux. Corneille est en dehors de la loi commune, et en commençant par écrire des comédies, en persévérant dans cette voie pendant sept ans, de 1627 à 1635, il a ignoré la forme décisive de sa pensée. En 1635, il flotte encore entre la vocation fausse et la vraie, puisqu’il donne presque en même temps Médée et l’Illusion ; ce n’est qu’en 1636, à trente ans, et avec le Cid, qu’il est fixé pour toujours, sauf l’incident du Menteur que nous expliquerons plus loin.

III

Comment s’était-il engagé dans cette route ? Ce ne pouvait être par condescendance pour le goût de son temps : la comédie n’était pas alors plus à la mode que la tragédie, et même les précédents auteurs inclinaient plutôt vers ce dernier genre. Garnier, Jodelle, Hardy, Mairet lui avaient dû le plus clair de leur étonnante renommée. Aucun ouvrage comique n’avait eu un tel succès qu’un jeune poète en dût être ébloui. D’un autre côté, les graves études auxquelles s’était livré Corneille avant de songer à écrire semblaient devoir l’attirer beaucoup plus vers les scènes de l’histoire, vers le langage des passions élevées que vers les intrigues et le dialogue superficiel de la comédie, telle qu’on la comprenait à son époque. Mais quoi ! de même qu’une circonstance indifférente peut modifier le cours des plus grands événements, de même un fait, bien insignifiant en soi, a égaré Corneille : il a été comme un voyageur qui, à l’entrée de deux routes, attiré par un joli site, une fleur, un oiseau, que sais-je ? prend la mauvaise au lieu de la bonne, et ne s’aperçoit que longtemps après de son erreur.

Voici l’anecdote rapportée par quelques contemporains et confirmée par Thomas Corneille et Fontenelle. Le jeune homme n’était encore qu’un avocat inconnu, lorsqu’un de ses amis, amoureux d’une jolie Rouennaise, Mlle Milet, eut l’imprudence de l’introduire chez elle. Il en advint que Corneille s’éprit de la dame en tout bien tout honneur et parut être agréé. L’aventure n’alla pas loin, car Mlle Milet, s’il est exact qu’elle eût réellement préféré son nouvel adorateur, n’en épousa pas moins un conseiller au parle-