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LA MISSION DES VA-NU-PIEDS.

D’entreprise à proprement parler, il n’y en eut point ; comme beaucoup d’enfants qui ont bon cœur et pour lesquels l’économie politique demeurera toujours une science sinistrement facétieuse, Tello souffrait de voir d’autres enfants courir, pieds nus, pâlis par la faim et le froid, les rues neigeuses de sa ville natale. Les privations de chaque jour inscrites sur leurs traits fatigués éveillaient en lui un douloureux écho, et, lorsque leurs pauvres regards de détresse croisaient le sien, sa douleur devenait cuisante. Il lui arrivait de se détourner de sa route, quand il sortait seul, comme le font beaucoup de petits Américains, afin de mieux éviter les carrefours ou les trottoirs où il sentait que le spectacle redouté l’attendait. Un jour enfin, n’y tenant plus, il ramena chez lui deux petits mendiants tout déguenillés dont les pieds saignaient et pour lesquels il trouva une paire de chaussures et quelques vieux vêtements… On ne dit pas comment ses parents envisagèrent cette visite inattendue, mais il ne vint pas à Tello l’idée de recourir à eux.

C’est ici que l’histoire devient intéressante pour nous autres du vieux monde. Nous aimons bien noter dans le cœur de nos petits la naissance des instincts charitables, quitte à leur expliquer qu’ils vont trop loin lorsque, comme le « Jack » de Daudet, ils introduisent dans la salle à manger un pauvre colporteur, hâve et défait, et lui découpent une tranche appétissante du jambon paternel ! Nous leur enseignons même à faire une part pour les pauvres dans les économies qu’ils peuvent réaliser, et à se séparer sans trop de larmes des joujoux cassés susceptibles de faire sourire encore les petits visages sans joie. Mais j’aperçois d’ici l’effarement de madame et les sombres préoccupations de monsieur s’ils voyaient leur fils employer les loisirs de sa vie scolaire à mettre sur pied toute une organisation sociale destinée à lui procurer les ressources pécuniaires indispensables à la réalisation de ses vues philanthropiques.

Tello d’Apéry n’était pas très robuste ; sa première enfance ayant été entourée de soins, il avait appris une foule de choses qu’ignorent les diablotins que le plein air et les jeux violents peuvent seuls satisfaire et que met en fuite la perspective d’un amusement tranquille, sur une table, dans un appartement clos. Il savait notamment faire des fleurs en papier et d’autres petits ouvrages de fantaisie, tels que les fillettes se plaisent à en confectionner chez nous. À huit ans, un Américain délaisse volon-