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qu’il fût entré en communication avec l’âme de Clara. Il doutait aussi peu de leur amour mutuel… Mais quel peut être le résultat d’un pareil amour ? Il se rappelait ce baiser, et une sorte de froid rapide et doux lui parcourait tous les membres.

Roméo et Juliette n’ont pas échangé un plus beau baiser, pensait-il. Mais, une autre fois, je saurai mieux résister. Elle viendra à moi avec une couronne de petites roses sur ses cheveux noirs…

Mais, plus loin, ensuite ?

Nous ne pouvons cependant pas vivre ensemble !… Il faudra donc que je meure pour être avec elle ! N’est-ce pas pour cela qu’elle est venue, et n’est-ce pas ainsi qu’elle veut me prendre ?

Eh bien, quoi ! mourir ? la mort ne m’effraye nullement. Elle ne peut pas me détruire. « Où est, Mort, ton aiguillon ? » Au contraire, ce n’est que comme cela, et là, que je serai heureux, comme je ne l’ai jamais été dans ma vie, comme elle non plus ne l’a jamais été !… Car nous sommes vierges tous les deux !… Oh ! ce baiser !

Il y a des gens, pensait-il encore, qui, s’ils apprenaient tout ceci, me prendraient pour un fou. Si ces gens savaient quelle sérénité règne à présent dans mon esprit !

Et il souriait de nouveau.

Platonida entrait sans cesse dans la chambre d’Aratof, ne le tourmentait pas par des questions, le regardait, murmurait, soupirait, et s’en allait bien vite pour revenir aussitôt. Mais le voilà qui refuse aussi de dîner… Cela devenait grave ! Elle alla chercher le médecin du quartier, en qui on avait confiance par la seule raison qu’il ne buvait pas d’eau-de-vie et qu’il avait épousé une Allemande. Aratof fut étonné lorsqu’elle le lui amena ; mais Platonida se mit à supplier si instamment son Yachinka de permettre à Paramon Paramonitch, — ainsi se nommait le médecin, — de le visiter, ne fût-ce que pour elle, qu’Aratof consentit. Paramon Paramonitch lui tâta le pouls, lui regarda la langue, posa quelques questions, et finit par déclarer qu’il était nécessaire de procéder à une auscultation. Aratof était dans une disposition d’humeur si conciliante, qu’il y consentit également.